I- TEXTE DE C. FISTON SUR CLÉMENCE ISAURE et LES JEUX FORAUX, 1876 (source BNF / Gallica, Bibliothèque numérique)
http://domaine-gascon.wifeo.com/documents/C.-Fiston---Clmence-Isaure-1874.pdf
II- VISION SATIRIQUE DES JEUX FLORAUX,
LES OIES DU CAPITOLE, 1898 (Laurent Tailhade, Terre latine, Paris : Lemerre, 1898, pp. 345-352.)
A Mademoiselle Juliette Prévost.
La fraîche allégresse d’un matin d’été. Dans l’air neuf ou virevolte et joue, avec maints cris aigus, le tourbillon des hirondelles, quelques nuages d’ambre ou de rose s’éparpillent, au levant, comme une gaze déchirée. Et c’est, en haut, le bleu limpide, le riche éther méridional. Des clochers versent allègrement leurs carillons d’aurore. La lumière flambe sur les toits des campaniles, sur la brique rousse des maisons. « L’azur triomphe », ainsi que dit le royal poète Mallarmé.
Et du métal vivant sort en bleus angélus !
Encore que plus d’une « édilité » ostrogothe se soit employée, depuis vingt ans, à détériorer chaque vestige du passé, Toulouse garde son aspect ancien, sa noble allure d’autrefois. La cité palladienne, métropole de l’Occitanie, fait voir, ça et là, des coins d’ombre, des rues tortueuses, des places que l’équerre n’a point déshonorées. Venelles aux noms baroques et pittoresques : le passage des Trois-Renards, la Patte d’Oie Malcousinat, font paraître encore le même air qu’ils avaient, sans doute, quand le beau Pierre d’Aragon vint défendre Muret contre les hordes chrétiennes. On trouverait peut-être, scellé à quelque mur antique, l’anneau où, pour baiser la plus bello done, ce prince au cœur aimant attacha son coursier.
La rue du Taur ne semble pas beaucoup plus haussmannisée qu’aux jours de saint Sernin, lorsqu’un bouvillon féroce — le Taur — brisa sur ses pavés les os du Bienheureux, traîné par les carrefours, comme jadis le Priamide sous les murs d’Ilios.
La foire aux fleurs — banale maintenant — parmi les boulevards nouveaux, se tenait, avant la guerre, dans cette noire et laide rue du Taur, éveillant soudain la bonne humeur toulousaine, au milieu d’un quartier désert. Sur les trottoirs, dans les ruisseaux, les plantes aux riches couleurs s’entassaient, et les verdures, tandis que des paons, ficelés dans d’étroites corbeilles, piaillaient abominablement, sans que leurs voix, cependant, parvinssent à étouffer les clameurs du parler indigène. La coiffe blanche de l’Ariège, le madras des filles de Bigorre encadraient plus d’un ardent et frais visage ; d’un bout à l’autre de la fête pétillait cette « vitalité endiablée du Midi français », l’ivresse permanente d’une race artiste et passionnée. La Foire aux fleurs se mêlait quelque peu au mois de Marie, suivant la formule du catholicisme païen en honneur dans Toulouse espagnole, Toulouse qui n’est pas pour rien — ainsi disait Hugo — proche de Tolosa.
Cependant les vestiges d’autres siècles tendent, comme partout ailleurs, à disparaître ici. Monuments, coutumes, se francisent chaque jour, et perdent en couleur ce qu’ils acquièrent en modernité, sous l’invasion écœurante de l’imbécile progrès.
Un legs du bon vieux temps à quoi la population toulousaine reste fidèle, c’est la vieillotte et cocasse institution des Jeux floraux. L’espoir d’être palmé au Capitole et de cueillir, pour salaire de vers plutôt mauvais, quelque bouquet en métal de casserole, exerce un attrait irrésistible sur les imaginations du Sud-Ouest. Nul ne saurait expliquer cette bizarre concupiscence, n’était que l’on voit communément des personnes d’âge quémander les rubans académiques, sinon l’ordre champêtre du Poireau.
Ce que fut Clémence Isaure, patronne des Jeux floraux, nul ne pourrait l’affirmer aujourd’hui. Sans doute une vieille dame esthétique, férue de petits jeunes crétins à cheveux bleus qu’elle faisait dîner pour entendre leurs canzones et leur montrer le loup. Avait-elle fomenté — déjà — l’alliance russe ? Lui voyait-on un râtelier en dents de chien marin, ainsi qu’à Mlle de Gournay, ou bien en porcelaine, comme à Krysinska ? Ces interrogations — combien palpitantes ! — aboutissent au doute et à l’obscurité.
Pas plus que Guillaume Tell, que Pharamond, que Jeanne Hachette ou que la belle Paule, Clémence Isaure, la reine d’amour, n’a sans doute existé. De nos jours, sa « monnaie » se compose de messieurs vieillots : militaires porteurs de vague à l’âme, archéologues incompris, mondains ignares et curés à citations. Tout ce monde-là, mi-partie capucinière et faubourg Saint-Germain de province, « taquine la Muse » en ses heures de loisirs. Les mainteneurs (parmi lesquels se fourvoyèrent quelques hommes éminents, tel M. Jean-François Bladé), les mainteneurs ne sont pas aussi hostiles qu’on le croirait d’abord à la modernité. La plupart d’entre eux n’ignorent pas Lamartine ; quelques-uns même s’émancipent jusqu’à Victor Hugo.
Aussi, grande est la presse autour de leur comptoir. Les clercs d’avoué dithyrambiques, les ronds-de-cuir grivois, les apothicaires imbus de Baour-Lormian, les fabulistes de canton, les muses départementales se réunissent chaque année dans les bosquets du Gai Sçavoir.
C’est là, je pense, que la délicieuse table ci-dessous a vu le jour :
Voyez ce petit fou, qui, n’y trouvant qu’un jeu,
Badine horriblement avec une arme à feu.
L’arme que cet enfant ne croyait pas mortelle
Étend sur le carreau sa jeune sœur Estelle.
Jeunes femmes, souvent cet imprudent c’est vous,
L’arme à feu c’est l’amour, la victime c’est nous.
Sérieux comme un ase qu’on étrille, les antiques féaux d’Isaure concèdent aux lauréats des tas d’orfèvrerie tintamaresque : navets en chrysocale, tomates d’aluminium, que, malgré le scepticisme des temps, ils ne manquent point de faire bénir à la Dalbade et qu’ils promènent avec emphase, sous leurs pépins, à travers les orphéons et les fanfares, au grand contentement des fléoüs estomirés.
Puis, au Capicole, juges et lauréats se congratulent en volailles bien apprises à la suite de quoi, les bardes en vedette sont conviés à prendre leur essor, à dégoiser, en personne, ce que dicta leur Apollo. Cela va de Prudhomme à Pompignan-Lefranc, en passant par Viennet. Sénile et lamentable exhibition ! Il en vient de Carcassonne et de Quimper-Corentin, d’imberbes et de chauves, avec des têtes préhistoriques et des paletots mérovingiens ; de « to-to » et de crasseux, mais épris, quels qu’ils soient, du motif facile et des grâces perruquières.
A ces jouvenceaux, l’Académie décerne quelques louanges tempérées de restrictions acrimonieuses, à la façon du père Beuve, en quoi excelle le comte Fernand de Rességuier, mainteneur perpétuel.
Voici de quel air écrit ce gentilhomme :
« Nos concours, — gazouille-t-il, avec des élégances Louis-Philippe, — nos concours sont devenus plus substantiels, je dirais même plus intéressants. Et cependant je me surprends parfois à craindre qu’on ne leur fasse ainsi perdre quelque chose de leur attrayante simplicité. Clémence Isaure, comme une déesse, marchait jadis sur les blés sans courber les épis… Aujourd’hui que les filles vont au lycée et que les bachelettes se font recevoir bachelières, il faudra bien que notre patronne monte dans le train ; mais, par grâce, donnez-lui le conseil d’y monter le plus tard possible et surtout de fuir la bicyclette scientifique. »
En vérité, depuis Monsieur Mermillod disant que « la femme apporte sur le railway du monde la pierre du déraillement ou bien de la goutte du Saint-Esprit » on n’avait rien imaginé qui fût comparable à ce marivaudage d’aiguilleur.
Mais Monsieur le comte manie également bien la prose sévère et le bouquet à Chloris. Voici le bonbon final d’un toast à François Coppée enregistré (le toast) par la presse locale et qui paraît digne du Temple de Mémoire à l’égal des précédents morceaux :
On dit ces choses à Toulouse,
Après dîner, chez Tivollier,
Comme jadis sur la pelouse
Chantaient nos joyeux écoliers.
C’est pour garder le monopole de ces jolies choses que la Maintenance ès jeux floraux bouche obstinément toutes les portes aux jeunes hommes, épris d’art et de décentralisation. Une généreuse petite revue, l’Effort, où écrivent tels bons poètes : Delbousquet, Maurice Magre, d’autres encore « desquels je ne sais plus le nom », dit leur fait à ces bélîtres avec persévérance. Les rôles ont changé. Les oies du Capitole roupillent, à présent, sur leur pelouse en toc, cependant que l’alouette juvénile raille leur somnolence et dit, malgré leurs haines, sa cordiale chanson.
Toulouse, le 14 juin 1896.
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Avec René Nelli poète : pensées autour d’un livre qui restait à écrire
Philippe Gardy, René Nelli, la recherche du poème parfait. Suivi de René Nelli, Choix de poèmes, Carcassonne, GARAE HÉSIODE, 2011, 448 pages.
par Xavier RAVIER
Cet ouvrage manquait énormément : il nous ramène vraiment dans l’intimité de l’écriture poétique de René Nelli. L’intervention que l’on va lire n’est pas un simple compte rendu mais un propos sur ce que nous a apporté la lecture que nous en avons faite. Nous n’avons pas visé à l’exhaustivité, ce qui eût été prétentieux devant un livre de cette richesse et de cette valeur : il nous a paru préférable d’insister, à partir de l’écrit lui-même de Gardy, sur des points forts, raison pour laquelle nous avons veillé à laisser le plus possible la parole à l’auteur.
Et d’abord, prêtons attention aux deux aspects fondamentaux de la démarche de Philippe Gardy[1]. Le premier consiste dans le recours à ce que je ne crains pas d’appeler une « philologie », vocable qui doit être ici entendu dans son sens habituel, celui de l’étude des textes du point de vue de leur place dans l’histoire de l’œuvre nellien et par rapport à l’enchaînements et aux entrecroisements des composants de cet œuvre. Gardy qualifie de « reconstitution chronologique de la poésie de Nelli »[2] ce versant de sa réflexion, locution d’autant plus justifiée que le poète lui-même a sans cesse nourri son travail scriptural de remaniements consistant en la reprise, dans des contextes divers, de formulations préexistantes, en réécritures plus ou moins poussées, en modifications de la structure elle-même de rédactions antérieures ; ces actes associant le langage et la plume ont occupé Nelli durant toute sa vie du poète, ils sont inséparables de la forme prise par l’expression de notre auteur et leur accumulation a sans cesse nourri la « recherche du poème parfait ». Gardy a tenu à s’expliquer dans la partie initiale de son ouvrage sur la façon dont il a conduit son entreprise :
« Mais je me suis intéressé aux traces ultimes que les poèmes ont pu enregistrer de ce qui les a précédés. Parce que ces traces, toutes, renvoient, plus encore qu’aux conditions de leur élaboration, à ce qui a présidé à celle-ci, à ce qui l’a rendue à la fois possible et nécessaire. Absolument nécessaire[3]. »
Et un peu plus loin :
« C’est cet itinéraire, cette pérégrination pressentie dès les premiers textes du poète, puis progressivement formulée et assumée, que les pages qui suivent ont voulu, à leur mesure, retracer et interroger. De ce rythme si particulier, d’autant plus efficace et prenant qu’on n’en soupçonne pas l’existence à la lecture, naît le ton très personnel d’une écriture poétique qui, tout à la fois, émeut et possède. En naît aussi, et surtout, ce qu’on appellera le contenu de la forme, un balancement perpétuel, dont ce livre, lecture méthodique et obstinée, cherche à repérer, sans prétendre les avoir fait tous apparaître, quelques uns des réseaux et des croisements essentiels. Ce que l’on nommera, prolongeant une image chère à René Nelli, la toile d’araignée du poème, sans cesse détruite et reconstruite, jour après jour au fil du temps[4]. »
Ces lignes sont porteuses d’une information de premier ordre : elles nous montrent en effet que le versant « philologique » de l’entreprise n’aurait eu aucun sens s’il n’impliquait pas une plongée dans l’intimité de la poétique nellienne, laquelle tend au recommencement indéfini d’une parole à la recherche de son essence.
Essayons maintenant de voir comment cohabitent ces deux orientations que Philippe Gardy a voulu donner à sa réflexion. À cet effet je citerai deux pièces dont la confrontation nous permettra de nous faire dès maintenant une idée de ce qui est ici en cause. Un exemple nous y aidera :
A
CIUTAT
Al temps de Mai, quand l’aucèl renovèla sa canta e qu’ausissi
d’antigas còblas trevar los quatre caps del passat,
Me’n vau, de còps per l’eissut caminòl al penjal del serrat,
ont se saludan tres pins sus lo sorgent de las auras.
D’aquí vesi levar dins un cèl trist e verd d’encantaires
murs dentelhats, tets ponchuts, torrihlons prims e corsièras,
tot un decòr s’eiriçant al ressón d’une lenta campana :
grases negrals per montar del calabrun a l’estèla[5].
B
CIUTAT DE CACASSONA
Vesi levar rasa terra en un cèl d’un verd trist e que vira
tets ponchuts e merlets campanal prim e corsièras
tot un decòr airiçat al ressón d’une lenta campana
grases negrals per montar del calabrun a l’estèla[6].
Gardy rappelle que la pièce A avait fait partie originellement d’une série de six épigrammes[7] publiées à Toulouse dans la revue Pyrénées en juin 1944[8] : le texte, n°3 de cette série, est intitulé Ciutat et que sa deuxième strophe avait été retenue par son auteur pour reparaître en 1953 dans Arma de Vertat, très précisément dans II, Epigramas, Anticas, sous le titre de Ciutat de Carcassona « Cité de Carcassonne » = pièce B, la première strophe de A n’ayant pas été reprise, ce qui revenait à faire dudit B un texte autonome dans l’économie de l’ensemble Arma de Vertat : où A revient aussi avec ses deux strophes (dans Vespèr e la luna dels fraisses, I La luna dels fraisses). Comme on le voit, Nelli menait avec ses propres textes tout un jeu dont nous verrons qu’il n’a rien d’un procédé artificiel ou artificieux, qu’il répond à une préoccupation de premier plan telle que l’exprime le deuxième segment du titre de l’ouvrage, « la recherche du poème parfait » : nous allons revenir y revenir plus loin.
La seconde strophe de A n’est pas restée dans B une simple et banale copie : son entrée, en 1952, dans une section rigoureusement délimitée d’Arma de Vertat a donné lieu à une réécriture partielle mais bien visible des trois premiers vers, alors que le dernier n’a pas subi la moindre modification : le chemin menant del calabrun a l’estèla « du crépuscule à l’étoile » était donc pour le poète un invariant de l’imaginaire. Gardy a très bien vu la chose et nous gratifie à ce sujet de quelques lignes qui aident à entrer dans le vif de la création nellienne :
« Ces reprises, comme les variations que l’on peut observer dans l’une et l’autre version, sont revelatrices, au-delà du soin apporté par Nelli à la rédaction de ses textes, de la valeur fondatrice de ce poème : Carcassonne n’y est pas seulement un décor, un objet de description, mais une sorte de matrice, où ce que voit le poète conduit à la contemplation et à la perception hautement sensible d’un paysage originel, animé par le mouvement qui en même temps le soulève et l’immobilise. »[9]
Ce passage, de surcroît, d’une part nous montre que la démarche de Gardy procède de ce que je ne crains pas d’appeler une empathie, c’est-à-dire une manière de traiter les faits qui se situe absolument à l’opposé d’une adhésion admirative ou naïve, la distance inhérente à l’exégèse n’étant d’ailleurs jamais mise de côté ; d’autre part nous comprenons grâce à cet extrait la signification qu’il convient de donner à l’expression « recherche du poème parfait » contenue dans le titre de l’ouvrage : il ne s’agit pas ici de désigner un stade d’achèvement qui aurait une valeur définitive sinon éternelle, mais de mettre en valeur l’effort lui-même que le poète a consenti en écrivant ses textes et en les reprenant en vue de les faire entrer dans le circuit de la perfectibilité telle que l’auteur l’a vécue tant qu’il a été un existant. En d’autres termes, le « poème parfait » tel que Nelli le concevait est le poème dont l’écriture est restée indéfiniment ouverte, faite d’une série de lectiones dans chacune desquelles la relation de l’auteur avec son texte a joué à plein, exigeant chaque fois un autre ou un ailleurs du dire sans que pour autant la rédaction ultime contredise ou réfute la première rédaction. Bref, la poésie de Nelli est toujours restée étrangère à la notion d’un stade final d’elle-même. Nous inspirant d’une réflexion de Novalis, nous sommes tenté d’aller jusqu’à parler de la métempsychose incessante d’un prononcé poétique capable de se réaliser, c’est-à-dire de s’incarner plusieurs fois : tel est, selon nous, le phénomène dont Gardy a voulu prendre la mesure. Voici d’ailleurs le passage des Fragments du poète allemand qui nous a déterminé dans le sens que nous venons de dire :
« Le mode imaginaire situe le monde futur tantôt dans les hauteurs, tantôt dans la profondeur, tantôt dans la métempsychose de nous-mêmes[10]. »
Restons encore un instant avec Novalis. Il se trouve qu’un peu plus loin, dans un autre parmi Les Fragments, on lit :
« Une image n’est pas une allégorie, n’est pas le symbole d’une chose étrangère, mais le symbole d’elle-même. »
Nous nous sommes demandé dans quelle mesure cette assertion pouvait être appliquée à la poétique de Nelli. Visiblement, la phrase de Novalis lui avait été dictée par les convictions disons idéalistes, dans le sens philosophique du terme, qui étaient celles du poète, acquis, comme on le sait, aux idées de Fichte. Certes, toute image s’inscrit dans l’esprit et mobilise un soutien idéel, mais c’est pour, aussitôt qu’elle est conçue, se charger de ce que les cinq sens déposent en elle, de manière à la rendre à la fois signifiante et expressive, si bien qu’il n’est pas besoin d’aller plus loin si l’on veut définir l’image poétique elle-même, y compris dans des extensions comme celle que signale Gardy quand, à propos de La Tor de las Irises : il attire en effet notre attention, ainsi qu’on le verra plus loin, sur le fait que Nelli, dans ce qu’il écrit à propos des châteaux de Lastours et du site qui est le leur, ramène l’ensemble de la vision à la tonalité dominante de la couleur bleue pour nous imposer un « temps qui s’incarne en paysage[11]. »
La prise en charge de l’image par le langage implique bien sûr ce que l’on a pris l’habitude d’appeler en notre temps « isotopie », c’est-à-dire la cohabitation des éléments entrant dans un énoncé dont la cohérence doit s’affirmer au-delà des différences et par elles-mêmes. Parmi les strophes de l’Òda a Montsegur, j’en relève une qui nous montre combien Nelli se pliait instinctivement et totalement à cette nécessité ; évoquant la crémation des vaincus de Montségur, il écrit :
Davant los còsses, per torn,
que la flama e vestís e desnuda
tot lo real que trantalha
dins la foscor s’avalís ;
resta pas als borrèus
que sa part de luxúria e d’asir
e lo sinistre boisson
de sos desirs furioses[12].
Le discours est ici plusieurs fois relancé par une série d’images, au point qu’il donne l’impression de se confondre avec elles : les corps dénudés et revêtus par le feu, l’absoption du réel par les ténèbres du malheur, « le sinistre buisson » des désirs de bourreaux avides de cruauté. On trouve de tels agencements en bien des endroits de l’œuvre poétique de Nelli. Voici un autre exemple, pris dans la pièce Sirventès au dieu naturel du recueil en français, Point de langage :
Une fois de plus ayant tout oublié
sauf l’amour qui encore se préfère à l’amour
je me lèverai de ma semblance vide
comme un homme abandonne au réveil sur le sable
l’empreinte où sa chair a dormi
Les illusions étranges qui nous ont égarés
et dont le souvenir nous transfigure
je sais je sais : ce ne sont pas les nôtres
mais nous en avons joui dans ta réalité[13].
Le discours que Nelli nous tient dans ces vers sur son destin métaphysique serait demeuré incomplet sans le parallèle avec la marque en creux laissée sur le sable qui accueille un sommeil qui pourrait être non pas seulement le dernier, mais aussi la justification de sa vie.
La question des deux langues auxquelles Nelli a voulu confier sa création poétique ne doit pas être oubliée, bien au contraire. Sur ce point, Gardy fait le point de ce qu’il faut savoir à ce sujet. Après un développement occupant le chapitre 1 de son livre (« Le paysage avant le paysage ») et les premières pages du chapitre 2 consacrées spécialement à l’entrée de Nelli en poésie (« Le réeel et l’imaginaire : l’incarnation d’une présence »), il cite cette déclaration du poète :
« … a l’edat de trètze o catòrze ans me [soi] virat amb passion cap al lengatge provençal, vers los poëmas d’Aubanèl, que sabi encara per còr. E vers los trobadors que, dempuèi quaranta ans, lor soi demorat fidèl[14]. »
Il se trouve également que le poète place son volume en français Présence (1929), dédié à Joë Bousquet, sous le signe de Marcabru par la citaton que voici du célèbre troubadour :
Mos talans e ma semblansa
so e no so d’une entalh,
pueys del talent nays semblans
et pueys ab son dig l’entalha.
« Mon désir et ma manière d’être
sont et ne sont point du même degré
puisque du désir naît la manière d’être
et puisque par son dit elle le change de degré. »
En pensant à désir et parole tels qu’ils sont dotés par Marcabru de propriétés inverses, Nelli entendait à l’évidence marquer de manière précise la signifiance de son recueil. On ne doit donc pas s’étonner de retrouver dans son œuvre des passages comme les deux strophes ci-après, dans lesquelles les figures complexes et antagoniques du destin s’imposent à l’espace verbal, tout comme Marcabru, lui aussi poète majeur, doit s’accommoder, en le faisant sien, de l’affrontement du désir et du dire :
orient dans les formes et formes de l’oubli
à travers moi la chute infinie les endort
une image invisible : elle oublie de paraître
par delà les êtres une incarnation vers la mort[15].
Et aussi :
si je t’aime c’est par ce vide plus lourd que le vent
qui nous lie au travers de notre désespoir
un seul baiser le désir brise avec violence
les images créées et leur nuit enchantée[16].
Gardy est donc dans la pure logique du lyrisme nellien quand il propose, au sujet de la co-présence du français et de l’occitan dans l’œuvre du poète de Carcassonne, l’idée que voici :
« On avancera donc l’hypothèse que les vers de Marcabru, dans cette déjà longue chaîne de lectures et de souvenirs remontant à l’adolescence et peut-être plus loin encore[17], ont pu jouer un double rôle de révélateur et de messager : ils accompagnent les paysages déjà entrevus et valorisés poétiquement, et en laissant mieux deviner d’autres, dont les contours ne tarderaient pas à se préciser. Et c’est l’occitan, langue de l’amour et de la poésie, selon l’intitulé du recueil fameux de Paul Éluard dont Nelli venait de rendre compte dans Chantiers, qui allait être le lieu et le véhicule de cet élargissement décisif.[18] »
À propos précisément de la dualité linguistique sous le signe de laquelle avait fini par s’inscrire le destin de la poésie nellienne, Gardy nous montre que les textes produits dans chacune des deux langues susdites, aussi bien ceux écrits directement en occitan et accompagnés d’un rendu en français que l’inverse, ne sont pas le résultat d’un simple travail de traduction : le poète s’était imposé pour les uns comme pour les autres une identique exigence quant à la tenue de l’expression, si bien que Nelli n’est pas simplement le traducteur de lui-même mais l’opérateur d’un écriture à double face, je dirai même qu’il nous offre souvent l’exemple d’une bi-univocité textuelle français-occitan / occitan-français[19], sans le moindre enfermement dans un bilinguisme pur et dur. Touchant ce que je viens d’avancer, je recommande, parmi bien d’autres pages de grande qualité, celles dont La cronica de las nivols[20] et La Sèrp de folhum[21] (chap.5) font l’objet : on y découvre par exemple comment la pièce II de La Sèrp de folhum[22], séquence de dix alexandrins en occitan et transposition d’une pièce en français parue en 1943 dans les Cahiers du Sud ; voici ce texte tel qu’il est donné dans ÒPOc, c’est-à-dire dans sa dernière forme éditoriale connue :
Es un païs velat del regard de tres
ont bategan de nans crentius que vivon d’aire.
Aquí l’espiga nais del gèst que la culhís.
E las femnas son mai dauradas dins lo verd
solelh que treslusís en varatge desèrt.
La bèla de son det dosta sa baga e pausa
dins lo clòt de sa man aquela cencha d’aur
ensarrant una vila estreta ont l’amor gausa
pas claure ? una rèire-ciutat de las tors clausas
que son fals-jorn retrais a n’un sorire mòrt[23].
Le va-et-vient entre les deux langues a tout de même donné lieu à des « réécritures significatives » – nous reprenons l’expression de Gardy –, notamment celle des trois derniers vers ; au sujet de la version française du texte telle qu’elle est donnée en regard de la version occitane, notre auteur précise :
« … à la fin du poème, le jeu des personnes a été remodelé. La bague de la belle, dans la première version était évoquée
Enserrant une ville étroite où mon cœur n’ose
pénétrer : une ville ancienne aux tours bien closes
dont l’amère clarté me ressuscite encore.
Dans la seconde version, on peut lire désormais :
Enserrant une ville étroite où l’amour n’ose
pénétrer : une ville ancienne aux tours bien closes
dont le faux-jour ressemble à un sourire mort[24]. »
Personnellement, notre sentiment de lecteur est que les deux changements, en apparences minimes, de la deuxième strophe auraient suffi à conférer au poème la tonalité que recherchait son auteur : le faux-jour rappelant un « sourire mort » me paraît, du point de vue de la sensibilité, plus proche de notre vécu qu’une « amère clarté », celle-ci fût-elle promesse ou annonce d’une resurrection de soi-même à soi-même.
Il n’est pas inutile, dans un registre différent, d’envisager le cas où la modification textuelle se fait totalement à l’intérieur de l’énonciation occitane elle-même, à la faveur, ainsi que le souligne Gardy, « d’un processus de réélaboration considérable. » Il s’agit en l’espèce de la dernière pièce d’Arma de vertat, dépouvue de titre, la vingtième de La Sèrp de folhum et dont les vers initiaux nous plongent d’entrée de jeu dans l’une des constantes du lyrisme nellien :
Lo crit d’aquel aucèl fiala son arabèsca
que ronronra al rodet fosforejant de l’aiga....[25]
Dans le numéro unique et extraordinaire de la revue Òc des années 1946-1947-1948, Nelli avait publié une série de poèmes, dont le huitième, celui précisément qui allait connaître le « réélaboration considérable » susdite, allait être de retour en 1952 dans Arma de vertat, où il porterait le n° XX de la partie La Sèrp de folhum. La strophe finale de la pièce était faite dans la version initiale des six hexasyllabes (et non pas heptasyllabes, comme l’écrit Gardy par erreur, évidemment involontaire) que voici :
Senti lo freg divin
destrenchar de l’amor
cada instant lèu passit,
e mon còr respirar
luenh dins la nueit profana
aquela ombra de mort
ont Dieu fa lo matin[26].
Quatre années plus tard, on lit :
Arma continuosa que lo freg divin
o sentes destrencar de tu l’amor passida
— Com l’abís a jamai que sa fotografia
del pus prigond de son estela d’origina —
Respira tendrament dins la foscor profana
l’ombra d’aquela mort ont Dieus fa lo matin[27].
Plus loin dans son livre (p. 243-245), Gardy revient sur la pièce que conclut la strophe que l’on vient de lire. Les idées qu’il avance sont à mon avis une contribution de premier ordre à la connaissance de la poétique de Nelli. Prenons la place nécessaire pour citer :
« La nature première et profonde du poème, ainsi, serait de rejoindre sa forme à la fois originelle et terminale : sa réalisation ultime, qu’il portait en lui dès sa première manifestation de langage, et qu’il a fallu progressivement rendre perceptible dans sa plus grande totalité. La dernière pièce d’Arma de vertat nous fournit sans doute une des clés de cette alchimie qui paraît avoir très tôt présidé à l’élaboration de l’écriture poétique de René Nelli. Issue, on l’a vu, d’une composition sans titre publiée dans un numéro spécial de la revue ÒC couvrant les années 1946, 1947 et 1948, cette pièce de grande ampleur substitue l’alexandrin aux heptasyllabes sur trois strophes par amplifications successives : d’abord un quatrain, puis un quintil, et, pour finir, un sizain. Cette amplification progressive du quatrain initial fait de celui-ci la racine du poème tout entier, de la sorte engendré par une mesure qui, littéralement, le projette vers son propre avenir, jusqu’au dépassement final. Plus qu’à un art poétique, à proprement parler, on semble avoir affaire ici à un poème du poème, où le langage et le paysage du monde se rejoignent dans un seul et même mouvement : celui du vers et de la strophe parallèlement à celui des éléments naturels de l’existence, attachés au chante de l’oiseau qui ouvre la première strophe et détermine l’élan du texte (sont reproduits ici par le poète les deux vers de la première strophe de la pièce, que nous avons cités ci-dessus : Lo crit d’aquel aucèl…etc. »)[28]
La suite nous mène encore plus loin, jusqu’à nous faire découvrir dans leur intériorité même les résultats du processus que Gardy, comme on l’a vu plus haut, nomme à juste titre « alchimie », activité dont on sait qu’elle reposait sur un ensemble de prescriptions qui n’étaient pas des modes d’emploi mais un itinéraire que devait emprunter l’outil immatériel qu’était l’esprit de l’opérateur, même si ledit opérateur en mesurait le caractère passager, précaire et donc périssable (L’ombra d’aquela mòrt ont Dieus fa lo maitin… / cette ombre de la Mort où Dieu fait le matin) :
« C’est l’image de la photographie, dans la dernière strophe, qui apparaît comme l’aboutissement de ce mouvement épousant à la fois celui du chant (du cri très précisément) et celui de la vie du monde, incarné dans la deuxième strophe, par la présence à la fois mobile et immobile de l’arbre, né de l’interruption du chant de l’oiseau et pris dans les oscillations infinies du temps :
— Com l’abís a jamai que sa fotografia
del pus prigond de son estela d’origina —
Placée en incise au cœur de la strophe qui termine le recueil, cette désignation du temps dans ses deux dimensions de gouffre sans fond et d’immobilité de puis toujours déterminée indique également ce qu’il peut en être du poème, au terme de l’aventure de langage que représente Arma de vertat : l’émergence patiente de l’image, ou plutôt de la scène, dont il constitue la révélation progressive. Photographie jamais achevée du monde dans ses dimensions dans ses dimensions à la fois universelles et instantanées, le poème est le double, lui-même forcément mouvant, du temps contradictoire, en quête permanente de sa fixité première et dernière[29]. »
Dans le paragraphe subséquent, l’auteur prend soin de préciser que la manière de Nelli telle qu’il vient de l’expliquer n’est pas « un art poétique », mais qu’elle doit être mise au rang « d’une vérité pratique, et, au-delà, d’une croyance ». Il justifie cela en nous conviant en quelque sorte à une méditation sur la figure l’arbre, laquelle est très présente dans le lyrisme de Nelli : dans le cas de la pièce qui nous occupe présentement, l’arbre, habitant du temps et habité par le temps – ce que nous rend sensible sa durabilité qui va de pair avec les métamorphoses que lui impose sa condition d’être naturel – se manifeste par le cri de l’oiseau dévidant « l’arabesque » de son chant brusquement suspendu ; mais chacun des moments de son être-là et du regard que nous portons sur lui appelle l’image, la photographie abyssale se déployant dans l’espace infini (…. se fotografia / del pus prigond de son estela d’origina ; … il se photographie / du plus profond de son étoile originelle) ; il se trouve que dans l’un des écrits où le poète faisait se recontrer la réflexion philosophique et le versant hérmétique de ses préoccupations, nous rencontrons une remarque porteuse d’une signification vertigineuse, rapportée fort à propos par Gardy et qu’à notre tour nous nous devons d’inscrire ici :
« Cet arbre que je contemple ne dure pas : il n’est jamais le même. Il est sans cesse frappé d’éclairs noirs qui l’usent : sans cesse frappé d’éclairs d’être qui le restaurent. Il y a un temps qui franchit le temps[30]. »
Souvenons-nous aussi que Nelli voyait dans l’arbre la figure par laquelle il nous est rappelé que nous avons à faire face au cosmos et qui nous signifie notre destin ontologique en tant qu’il mobilise l’appétence charnelle :
E pr’aquò aquel arbre petrificat
sexe d’òme nosat dins l’estatua compacta de l’Èstre
dins l’universal durciment de las resinas
se cridèsse son crit seriá pas de dolor
mas invocacion terribla al plaser incommunicable[31].
Les données que nous avons passées en revue nous ont déjà ouvert les yeux sur l’architecture de l’ouvrage de Gardy, sur sa conception d’ensemble. Poursuivons maintenant dans cette voie.
La partie initiale est intitulée Pour commencer. Du paysage au poème. Dans les pages qui la terminent, sont indiquées au lecteur quelques unes des considérations qui ont présidé à l’écriture du livre. Bien entendu, y sont mis en valeur quelques traits définissant le lyrisme nellien et dont certains d’entre eux ont déjà été évoqués dans les développements précédents :
« Relatif, à la fois intangible et éphémère, puisqu’il peut toujours être repris, reformulé, le poème de Nelli n’existe que par rapport à la parole et à la forme dont il est idéalement issu. C’est de celles-ci qu’il provient, et c’est vers elles qu’il tend, qu’il “revient”, avec obstination. Car il n’est d’absolu que par rapport au temps, et au sein du temps, qui en épouse et en fait naître et renaître la contradiction première[32]. »
Gardy définit alors la façon dont il s’est astreint à parcourir les textes du poète, il attire notre attention sur ce qu’il nomme « le contenu de la forme [des poèmes] », présenté comme :
« un balancement perpétuel, dont ce livre, lecture méthodique et obstinée, cherche à repérer, sans prétendre les avoir tous fait apparaître, quelques uns des réseaux et des croisements de sens essentiels. Ce que l’on nommera, prolongeant une image chère à René Nelli, la toile d’araignée du poème, sans cesse détruite et reconstruite, jour après jour au fil du temps[33]. »
.
Le paysage avant le paysage ( = chapitre 1).
Cette partie a trait aux premières publications poétiques de Nelli. Il y a d’abord celles qui prirent place dans la revue Chantiers qui connut neuf livraisons, de janvier 1928 à juillet 1930[34], en particulier Présence (2e année, n° 6. Dédié à Joë Bousquet) qui nous a occupé plus haut : le découpage strophique initial fut repris dans l’édition en plaquette que fit de ce texte l’imprimeur Pierre Polère en mars 1929[35] et dans ces deux parutions immédiatement successives, Nelli a voulu marquer trois moment de son écrit par le signe typographique *** .
Approchant de la conclusion donnée à cette partie de son livre, Gardy a voulu affermir ce qu’il venait d’écrire et il l’a fait en se référant à Présence, en insistant sur « la force particulière qui se dégage de cette permanente irruption du paysage dans le déroulement du poème », à quoi il ajoute :
« … De telle sorte que la présence affichée dans le titre y apparaît doublement motivée, puisqu’elle est à la fois celle de la femme aimée :
Toi que je désire petite fille entourée de la lenteur du monde
et celle, par effet de miroir, qui habite et soulève un paysage s’offrant et se déroulant d’un même élan :
Sais-je si je dors tu m’accompagnes sur les routes de mon enfance
les arbres d’eau résistent à la course du ciel
Comme si, au-delà de la femme aimée et de ces paysages entrevus, s’imposait la présence elle-même qui occupe et soutient le texte : un éblouissement de tous les instants et de tous les lieux qui porte la réalité du poème à son incandescence.
C’est aux mots, au langage, et, au-delà, à la réalité première avec laquelle le poète cherche à se mesurer pour, avec elle, ne faire qu’un seul corps, ou qu’un seul souffle des mots, que le premier recueil poétique de René Nelli était consacré….[36] »
De fait, ces lignes nous révèlent comment le paysage et la représentation de la femme tendent de plus à devenir une constante de l’écriture du poète. Au surplus, le développement terminal du chapitre nous met en présence de la prose poétique de Nelli, tandis que le paysage et l’arbre sont de nouveau pris à témoins au sujet des peintures de Max Ernst qu’abritait la chambre de Joë Bousquet.
Le réel et l’imaginaire : l’incarnation d’une présence ( = chapitre 2)
Nous avons déjà rencontré cette partie du livre avec la citation de la strophe de Marcabru Mos talans e ma semblansa qui fait office d’épigraphe du recueil Présence.
« La Tour aux iris » ( = chapitre 3)
Le titre de cette partie de l’ouvrage reprend celui d’une pièce de seize hexasyllabes, écrite en 1935 et publiée en 1942 dans Entre l’espèr e l’abséncia : dans celle-ci est évoqué le sort funeste du troubadour Raymond de Miraval, trompé par sa dona, la dame qu’il avait élue selon la pratique courtoise, et dépossédé de son château de Cabaret, l’une des quatre forteresses (Las Torres) de la vallée de l’Orbiel, au nord de Carcassonne. De la place de ce texte dans l’histoire de la poétique nellienne, Gardy nous dit :
« Ce poème inspiré par le donjons de Cabaret constitue probablement la première composition poétique de Nelli, qui, dès l’abord, peut être considérée comme la mise en scène d’une paysage ne faisant qu’un avec son écriture[37]. »
Dans les développements qui suivent, l’auteur nous explique comment, sous la plume du poète, le château ruiné devient « la tour des iris », de quelle manière il fait l’objet d’une reprise à contresens de l’histoire réelle aux fins de nous mettre en présence d’un site reconstruit et donc magnifié. Lisons ce texte avant d’aller plus loin :
LA TOR DE LAS IRISES
A.S.R.
«.... e sa dona l’avia traït et avia son
castel perdut...»
(Biographia de R. De Miraval)
Castèl de Cabaret
Que tas torres s’empluejan
Ambe malinconia
De la cendre dels segles.
Una fresca ombra blava
Tomba de tas parets,
Pariva a las irises
Dont tos monts s’esclarisson.
Amont sola una flamaba
T’escalpra dins l’azur
E daureja l’augiva
De ta finèstra abugla ;
Mas pus naut, dins la lutz
Mos uèlhs miran lo cercle
De mòrt que fan las goiras
Sus Amor escantida.
(Las Torres, junh de 1935.)[38]
Cette pièce est à l’évidence celle d’un auteur dont la démarche poétique est déjà acquise dans ses aspects fondamentaux. À l’extrait cité à peine quelques lignes plus haut, ajoutons ce qui le prolonge immédiatement :
« À ce paysage, le poète s’adresse directement, la première strophe apparaissant comme une apostrophe, tandis que les deux suivantes en sont le développement ; et que, dans la quatrième, le poète prend enfin la parole en son nom propre (mos uèlhs miran, mes yeux reflètent), face à un interlocuteur dont la seule présence imposante et presque magique, semble s’être trouvée à la source de cette parole.
L’origine et l’aboutissement de ce mouvement qui va du poète au donjon ont pour effet de métamorphoser les données factuelles du paysage contemplé : le “Castel de Cabaret” y devient “La Tor de las irises”, et c’est désormais cette appellation qui seule permet de désigner et, surtout de rendre visible dans toute sa réalité ce lieu chargé de temps et de sens. Les tours du château sont imprégnées de ce que les siècles, devenus cendres, ont pu y brûler d’existences ; et de ces feux anciens, portent la couleur toujours intensément présente les murailles devenues bleues comme sont bleues les fleurs d’iris qui illuminent les montagnes d’alentour[39]. »
Les pages suivantes nous amènent finalement à l’idée selon laquelle les spectacle que le poète avait autrefois eu une première fois devant les yeux à Lastours s’était dédoublé par le jeu de la sensiblité, rendu ainsi apte à prendre place dans un prononcé lui-même capable de se renouveler sans cesse sans pour autant modifier son essence :
« Le paysage qui compose “La Tor de las irises” est en réalité double. Le premier est le paysage rencontré et contemplé, réellement ou dans son souvenir, un jour du mois de juin de 1935 : l’écriture et la rencontre témoignent de cet éclair poétique en le prérennisant. Le second est paysage de l’esprit (ou de l’âme) : à celui que dessine le donjon ruiné de Cabaret, il adjoint la forme intemporelle d’une scène exemplaire[40]. »
De quoi il ressort, que le « temps, dans toute sa contradiction, et la beauté issue de cette contradiction à la fois vécue et transformée en “point de langage”, constituent les deux faces de cette réalité unique dont le poème rend compte[41]. »
Une donnée essentielle de l’expression nellienne est ainsi mise en valeur par Gardy : celui-ci a parfaitement compris comment le poète réunit intériorité et extériorité l’une dans une parole qui les transcende, mobilisant à cet effet le réel et le pensé, le révolu et le présent, le regard et le langage. La mobilisation simultanée de ces facteurs nous a donné beaucoup à penser, au point que nous n’avons pas pu échapper au besoin de traduire à l’aide d’un schéma tout ce que nous apportait la lecture du chapitre La Tor de la irises, partie du livre à nos yeux irremplaçable en ce qui concerne la connaissance de la poétique du Carcassonnais. Voici donc cette figure, que je vais assortir de quelques remarques, lesquelles, bien sûr, n’ont pas le prétention de se substituer au propos de Gardy.
Le ternaire poétique nellien
TEMPS
(le séjour dans le la vie : destin) PAYSAGE
(l’histoire ; le monde ; le visible) ;
PAROLE (l’expression affective ; le dire poétique)
Les trois pôles temps, paysage et parole sont reliés entre eux par un fléchage double bi-univoque : sont ainsi marquées les relations qu’ils entretiennent entre eux et le fait qu’ils existent non seulement par eux-mêmes mais aussi par cette relation avec leurs pairs. De tout cela, Gardy, on l’a déjà vu, souligne sans cesse la signification.
Il importe également d’indiquer les entités ou les possibilités liées à chacun de ces pôles et par lesquelles, entre autres manifestations, s’instaure le poétique : ainsi par exemple, le paysage implique ce que nous nommons le séjour dans le monde et aussi le visible, à quoi on pourrait ajouter l’audible que Nelli est loin de négliger, encore que celui-ci lui serve parfois de vecteur d’une représentation métaphysique[42].
Le triangle formé par la figure pourrait être inscrit dans une circonférence, ce qui serait une façon de faire droit à une remarque de Gardy lui-même, qui souligne la circularité présidant à la réalisation des énoncés de Nelli et qui le fait précisément dans le chapitre de son ouvrage qui nous occupe présentement :
« Car c’est le poème qui construit cette image [celle de la Tour aux iris], tandis que celle-ci, parallèlement “retombe” en poème, dans un mouvement circulaire [nous soulignons], qui ne connaît dès lors ni commencement ni achèvement[43]. »
La circularité et le caractère biunivoque de la relation qu’entretiennent entre elles les trois entités sur lesquelles nous avons basé notre propre réflexion ont en commun une propriété qui doit être notée : elles n’ont pas laissé se glisser la moindre tautologie dans l’écriture poétique de Nelli. Observons aussi que la vision du paysage, telle que Nelli nous la soumet, est étrangère à toute considération que ferait entrer en jeu le mot et le concept de nature, notamment en tant cette dernière se cache, se dissimule, comme le professe un courant de pensée inscrit dans notre tradition philosophique et déjà présent chez Héraclite, se perpétuant chez Platon, Aristote et bien d’autres : le paysage nellien est le contraire de ce qui se dérobe à la vue physique ou mentale, il se montre, il vit de lui-même par lui-même, il est un acteur omniprésent de l’écriture du poète[44].
L’épigrammes : un genre revivifié
Nous avons jugé préférable de regrouper dans cette partie de notre contribution ce que nous avons l’intention de dire au sujet de l’épigramme telle que Gardy en a suivi pas à pas le développement dans l’œuvre de Nelli. Notre propos est donc inspiré par les quatre chapitres ci-après de l’ouvrage :
Le temps des épigrammes 1 ( = chapitre 4) ;
Vers Arma de Vertat. 2 : Epigramas (= chap. 6) ;
Le temps des épigrammes 2 Vesper e la luna dels fraissses = (chap. 7) ;
Ultimes épigrammes ? (= chap. 8).
En annexe de la présente contribution, on trouvera pour chacun des quatre chapitre susdits et sous le titre « Références à ÒPOc des indications plus détaillées qui aideront à localiser ces textes dans Òbra Poëtica Occitana et à ainsi établir le lien avec l’ouvrage de Gardy, lequel renvoie parfois à des revues dont les numéros ne sont plus toujours aisément accessibles. Doit être réécrit en totalité. Pour chacune des pièces recensées, une pagination double est indiquée : sous le n° pair (page de gauche), la version française du texte – on pourrait dire aussi « transposition, adpatation, équivalent de la version occitane), sous le n° impair (page de droite) la version occitane. La raison pour laquelle le mot « traduction » n’est pas employé pour le rendu français des pièces est donnée dans notre travail.
Le temps des épigrammes 1 ( = chapitre 4)
Le contenu du chapitre 4 est annoncé dès la fin du chapitre 3. Il s’agit précisément d’un très beau quatrain de deux distiques, d’une teneur typiquement nellienne. Nous reproduisons ce poème avec le commentaire qu’en fait Gardy :
I a dos mila ans que remiri al prigond de tota arma perduda,
lo ser tescut per l’ironda, e, tre los cans an calhat,
lo fum blau s’enaurant del teulat de la bòria, e la patz
que va mesclar nòstras ombras a l’ombra longa dels monts[45].
« La profondeur vergilienne de ces deux distiques, dans une forme, celle de l’épigramme, que Nelli a pratiquée très tôt et qu’il a longtemps cultivée, jusqu’à en faire le rythme central de son écriture, achève de fixer, à travers un temps et un espace qui sont aussi ceux du poème, la nuance absolue de ce bleu. Le visage du poète et sa destinée, comme celle du troubadour de Miraval, s’y rejoignent et s’y abîment[46]. »
Pour profiter pleinement du chapitre 4, il est nécessaire de s’entendre sur le vocable epigrama / épigramme, en tant que titre de plein exercice d’une suite poétique d’Arma de vertat, soit Epigramas avec la majuscule initiale requise en pareil cas. Comme les rappellent les lexicographes, ce terme, dans l’Antiquité, désigne une « petite pièce de vers » ; la valeur sémantique « pièce satirique de petite dimension », apparue beaucoup plus tard, n’a pas été mise en œuvre par Nelli : mais celui-ci, rassemble sous ce vocable deux combinaiosn métriques distinctes. La première est la structure grâce à laquelle il reconduit pour son compte les deux composants du distique élégiaque gréco-latin : ce qui donne, en français ou en occitan, la combinaison d’un vers long (jusqu’à seize syllabes) et d’un vers court (souvent jusqu’à quatorze syllabes), censés reconduire, respectivement, l’hexamètre et le pentamètre dactyliques. Le poète, comme ses prédécesseurs de l’Antiquité, les fait entrer dans des strophes de quatre vers, soit des quatrains faits de deux distiques[47]. La culture classique du poète a ici joué à plein, mais elle ne l’a jamais conduit à une imitation servile des textes anciens – bien au contraire, Nelli a toujours préservé sa liberté de créateur, il a confié son écriture au distique en élargissant pour ses besoins les virtualités poétiques de cette forme : il n’est, pour s’en rendre compte, que de relire le texte Ciutat de Carcassona plus haut cité.
Il faut aussi rappeler que l’ordre « substitut de l’hexamètre » / « substitut du pentamètre » est inversé en son contraire par Nelli, donnant lieu à un ordre « vers court » / « vers long » / « vers long / vers court » , par exemple :
Real còla del long sorire
ont lo ciprès gelós torgís on ombra ardenta
ont l’oliu de clartat tal un palle fenix
morís e renais de sas cendres ![48]
D’autre part, à côté des quatrains de deux distiques, Nelli inclut dans la partie d’Arma de vertat dite Épigrammes, des quatrains isomètres – souvent des alexandrins – parmi lesquels on compte les pièces I, II, III, VI, VII,VIII, IX de la partie effectivement intitulée Epigramas d’Arma de vertat[49]. Lisons par exemple la pièce VI :
La colada sens cèl es color de beutat
i passejam daurats per la folor del ser
e la flamba ont la pèira e l’arbre se desnusan
nos vestís dins sos uèlhs d’una novèla carn[50].
Nelli ici encore restait fidèle à l’usage antique selon lequel le grec epigramma ou le latin epigramma, -atis admettait des signifiés divers : inscription ; marque (au fer chaud) ; épitaphe ; petite pièce de vers. Cette variété n’avait rien qui pût lui déplaire, bien au contraire : nous sommes certain qu’il la tenait comme une ouverture du langage appelée à conforter la pluralité de son écriture et du contenu de celle-ci.
Dans les dernières lignes de l’avant- dernière page du chap. 4 du livre de Gardy, nous lisons :
« Les épigrammes, plus que tout autre forme, semblent avoir constitué pour René Nelli, pendant la dizaine d’années qui s’étend, en gros, de 1940 à 1950, le cœur battant de son écriture en occitan. »
À la fin du paragraphe d’où provient cette citation, Gardy nous dit du double distique, « [qu’] il a représenté la mesure exacte d’une recherche dont l’objet principal était probablement de trouver comment accorder un langage avec le désir de dire le réel au plus juste de sa présence[51]. » Et il va jusqu’à offrir une description de ce à quoi ce « désir », né dans l’intériorité de l’esprit et du cœur du poète, conduit l’expression :
« … le poème y devient de plus en plus souvent une variation à propos de lui-même, un “tremblement” du langage, qui, par modulations et approches très fines, cherche la forme qui sera susceptible d’en installer et d’en fixer au mieux le paysage[52]. »
Comme Gardy le soutient à juste titre, chez Nelli la forme métrique et le contenu poétique se conditionnent mutuellement, sans que la machine versificatrice se mette à tourner à vide. Nelli poète à la fois par le jeu de l’esprit et la maîtrise des moyens esthétiques
Quant au distique proprement dit, Gardy s’en était déjà expliqué dans les pages initiales du chapitre :
« Ce sont ainsi l’amour et le temps qui constituent les deux grands thèmes de ce premier recueil d’Epigramas[53], et c’est le rythme antique du distique qui accueille une poétique du temps à la fois détruit et renaissant, sous le signe de sa présence indéchiffrable. Séjour d’élection de ce rythme par lequel tout commence, tout finit et tout recommence, les distique accorde en effet :
Quora revese en memoria tos uelhs e ta cara, me sembla
Que lo cel e lo Temps cantan ensem, immobiles[54].
Et cet accord se prolonge, ou ramène le lecteur du côté des paysages qui en sont considérés du point de vue poétique, la matrice et l’aboutissement[55]. »
Il est un autre vocable qui a déposé son empreinte dans l’écriture de Nelli : celui d’églogue. Le poète donne l’impression d’avoir voulu réunir en une seule les acceptions généralement reçues du mot[56] et d’avoir usé de lui comme d’une sorte de déictique et de générique par lequel il parvenait à faire cohabiter des textes que leurs registres rapprochent sur le plan de la sensibilité ou du ton[57], au-delà de leurs différences quant aux contenus directement apparents. Ainsi, le poète a désigné comme Églogues une série de huit pièces de son recueil français Point de langage[58], dont il n’est pas inutile de donner ici quelques incipit, qui nous indiquent déjà le tempo du texte :
LES GRILLONS APPARUS DANS LEUR FRAGILITÉ….
SOLIDE APPARITION DU MONDE…
DANS CE PAYS OÙ LE VENT EST VISIBLE…
TU CONNAIS CES ARBRES ÉPERDUS…
LES GOUTTES DE LA PLUIE ONT SÉCHÉ COMME LARMES..…[59]
Le contenu du chapitre 4 est d’autant plus intéressant qu’il nous fait assiter à l’apparition de l’épigramme dans l’écriture de Nelli : celle-ci est manifeste dès 1942, mais il est très probable qu’elle devait se préparer au moins dès le début des années 1940. Bien que plusieurs des premiers textes de ladite forme n’aient pas été conservés en 1952 dans la section II d’Arma de vertat, les attestations que nous en avons montrent que Nelli avait déjà trouvé la voie qu’il entendait suivre, y compris notamment dans les aspect incorporels de sa création ou du point de vue des lieux – Montségur – ou encore des figures imaginaires qui allaient désormais habiter son écriture :
Sol, lo cel te portava l’adieu del païs de Magia...
Te’n sovenes, lo ser, tota la selva cantava.
Dins lo vent l’Unicorn veniá fum, e los rais de la luna
de tas venas trasián, l’aur d’un gran somni sens anma[60].
Les épigrammes retenues en 1952 dans Arma de vertat sont passées elles aussi en revue dans la deuxième partie du chapitre : il s’agit de celles qui dans ÒPOc occupent les pages 58 à 63. Les séquences qu’elles forment sont signalées par des titres en grandes lettres majuscules, soit dans l’ordre :
GITANA (pièces numérotées I à III), AUTRA GITANA (pièces numérotées IV à IX ; après quoi viennent ANTICAS (non numérotée : suite de trois quatrains de deux distiques chacun), TOT LEGISSENT ESIOD (non numérotée : suite de quatre quatrains de deux distiques chacun).
La présentation et l’organisation du texte telle que Nelli l’a déterminée sont loin d’avoir une valeur purement formelle, ne sont pas une simple mise en page ; à propos de la suite TOT LEGISSENT ESIOD, Gardy insiste en effet sur deux points :
« L’ordre de ces nouvelles épigrammes est déjà plein de sens. Vient en effet en première ligne un quatrain, “Tot legissent Esiod”, qui enracine l’écriture poétique dans un passé mythique, aux origines mêmes de la littérature européenne. Cette entrée en matière sous le signe (dans Vesper e la luna dels fraisses, c’est plutôt à la Théogonie qu’il sera fait appel) a bien sûr à voir avec le retour des saisons et le penchant pour l’églogue dont il a été déjà question : le poète grec d’Ascra est une des premiers, dans l’histoire de la poésie occidentale, à avoir chanté l’ordre du monde pour interroger les énigmes du temps, en confrontant les paysages terrestres avec les étendues célestes… Hésiode contribue à cimenter la perception de ce temps continué qui fait de la poésie le lieu où le réel se laissa percevoir dan totalité. En ce sens, la voix poétique, et la poésie elle-même, dépassent chaque poète, dont les vers, renvoyant au réel, ne forment idéalement qu’un seul poème, par-dessus l’écoulement du temps[61]. »
Ces lignes semblent confirmer notre idée, proposée plus haut, de la triplicité de l’espace poétique : Temps / Paysage / Parole. Concernant les problèmes que pose l’épigramme dans l’écriture de Nelli et en nous efforçant d’y regarder au plus près près, nous inclinons à tenir le chapitre 4 pour un élargissement notoire de la réflexion entamée dès le chapitre 3 « La Tour aux iris » : dans la partie de son livre dont il vient d’être question, Gardy a mis en valeur le fait que le poète de Carcassonne en avait vu dans l’épigramme un support de sa thématique la plus complexe et la plus profonde. Le chapitre en dit encore plus sur ce point.
Vers Arma de Vertat. 2 : Epigramas (= chap. 6)
Les pages 137-150, en dépit de la brièveté – relative – de l’ensemble qu’elles constituent, nous apportent de nombreuses et précieuses informations : non seulement du point de vue que nous avons qualifié plus haut de philologique, mais aussi pour ce qui regarde la poétique elle-même dans son accomplissement. Du second de ces aspects, Gardy a traité en se tournant vers les sources auxquelles Nelli a lui-même reconnu être redevable de traits marquants de sa propre écriture, en particulier Hésiode ; écrivons ici dans son intégralité le quatrain Tot en legissent Esiod :
Quand florís lo cardon e brusís la cigala su l’arbre
mai son las femnas caudetas mai son los òmes flaquits
Mai qu’aguèssi de vin de Biblos a l’ombrum de ma cauna
i dormirai sens amor lo cap clinat al zefir[62].
Un autre Carcassonnais, malheureusement négligé dans notre actualité par beaucoup de ceux qui se donnent pour occupation la connaissance de l’art verbal sur son versant poétique, François-Paul Alibert a été l’une des connivences de Nelli et avait aussi gagné l’estime de Joë Bousquet. La troisième pièce de la série ANTICAS (ÒPOc, p. 58-59) nous est offerte comme suit :
Cada ròsa defalh : Sa beutat tornarà pas florir.
Pauc m’en cal se la vinha m’es plan melhora que canta
que tanben res non dura en lo mond e d’un pampol s’encanta
ont un reire-rasim va madurant sa sabor.
Ce quatrain est accompagné de la mention « F.P. Alibert, Epigrammes ». En effet, Nelli a tout simplement procédé ici, mais selon les règles qu’il s’était données, à la transposition en occitan de son commensal en poésie, qui écrivait :
Toute rose succombe et ne va refleurir.
Peu m’importe, la vigne est meilleure, qui chante
aussi que rien ne dure au monde, mais s’enchante
d’un pampre où tel raisin commence de mûrir.
Le quatrain en alexandrins d’Alibert est donc devenu avec Nelli un quatrain de deux distiques. La réflexion de Gardy sur la nature et la signification de ces échanges textuels est faite de bon sens et de sensibilité. Après avoir, au sujet de la deuxième épigramme de la séquence ANTICAS rappelé « la question de la poésie et de ses rythmes fondateurs », il en vient au rôle joué par les deux grandes figures antécédentes dont se réclame l’auteur d’Arma de vertat, très précisément celles d’Hésiode et d’Alibert, appelant l’attention sur les deux actions contraires à la faveur desquelles se génère le dire poétique, le surgissement du thème et le travail, parfois long, sur l’accommodement du thème au langage :
« Et c’est sur ce chemin à la fois instantané et longuement médité que le poète rencontre la présence médiatrice des autres poètes : Hésiode, bien sûr, le grand précurseur, auquel le poète d’Arma de vertat s’assimile – ici est cité le quatrain transcrit ci-dessu, Mais qu’aguèssi vin de Biblos…..[63] »
Et immédiatement à la suite :
« Mais aussi le maître et modèle carcassonnais de Nelli, François-Paul Alibert dont l’épigramme… reprend fidèlement un des poèmes, où la rose cède le pas à la vigne et au raisin (citation ici du premier vers du quatrain Cada ròsa defalh : Sa beutat tornarà pas florir.
Puis après qu’il ait expliqué de quelle façon Nelli, ainsi que nous-même l’avons dit plus haut, a transformé le quatrain isomètre d’Alibert en quatrain à double distique, Gardy conclut en insistant sur le fait que ces échanges entre les écritures sont loin d’être un simple jeu, position à laquelle nous souscrivons sans la moindre réticence :
« C’est une position du poète en lecteur du monde, comme l’indique le titre de l’épigramme hésiodique, qu’adopte ici Nelli. Car ce monde, au-delà du temps fragmenté et de l’espace infini, mais insaisissable, est unique sous les espèces de sa diversité. Et cette unité profonde et sensible, sensuelle même, que l’épigramme permet de capturer et de restituer. Avec Alibert, c’est l’automne qui donne son rythme au poème, à travers la mention de la vigne et du raisin, que Nelli, fidèle à une image qui lui est chère, qualifie de “reire-rasim” : tandis que proviennent du texte hésiodique les images et les sensations du plein été. »
Le temps des épigrammes 2 Vesper e la luna dels fraissses = (chap. 7)
Par sa lecture de Vespèr e la luna dels fraisses, qui occupe la troisième place dans Arma de vertat, Gardy continue à nous tendre la clé de la composante épigrammatique de l’œuvre de Nelli : mais ici le sonnet accompagne quasi constamment l’épigramme, si bien que la relation entre ces deux types de formes telles que le poète en fait usage donne matière à questionnement. Afin de voir ce qu’il en est, allons à la p. 146-147 d’ ÒPOc :
REMEMBRE DEL LAURAGUÉS
Dins la bòria perduda,
al cap del blanc camin,
dormís l’inconescuda,
desnusa a ran dels sòmis
En sa cambra dubèrta
sus lo folhum, s’embriaiga
d’unas sentors feronas
de granilhas aladas...
La Jovença e l’Estiu
que fan lo torn del mond,
se pausan per ausir
son bèl còs d’ombra ardenta
pulsar dins lo folitge
de la nuèit pecairitz.
A DÉODAT DE SÉVÉRAC
As enclausit, Severac, sus un mòd tant esclet, las caròlas
de las sasons desgrunant son clar escambi de filhas,
que l’Amor, en t’ausir, s’es cambiat en segura armonia
e que la còla soritz coma una musa suprema.
Joana e Lison serián pas que rebat o saunei de setembre
— mai s’entalhe, riseire, lor profil cande su ser —
se dins l’eterna musica, ont la gràcia s’acaba en remembre,
lor plus segreta beutat culhisiá pas son espèr[64].
Voici soixante ans que le second de ces textes nous habite, au plus profond de nous-même, au point d’éprouver encore le besoin de nous le redire, à haute voix ou mentalement. Le Lauragais, que nous avons connu alors qu’il ressemblait à la Toscane, vit pleinement dans ce vers, qui viennent à la suite d’autres dans lesquels la même contrée inscrit son visage inoublié.
Du point de vue des formes, la juxtaposition du sonnet et des deux quatrains épigrammatiques marque la production de Nelli dans les années de la moitié du siècle dernier : rappelons que la première de ces formes se dévoile dans l’écriture du poète dès 1931, avec L’òme e l’unicòrn, texte daté de Raguse. En 1952, Cronica de las nivols, section initiale d’Arma de vertat, s’ouvre sur Per na Gensor, sonnet rimé, en occitan médiéval, entièrement conforme aux prescriptions du genre quant à la versification, alors que dans Entre l’espère e l’abséncia on était accueilli par A la dona terrena, avec une épigraphe empruntée à Uc de Saint-Circ, « Desesperatz ab un pauc d’esperança » ; la pièce est répétée sous le titre L’Eretge
(L’Hérétique) à la fin de La nuèit de Montsegur, deuxième partie, précisément, de Vesper e la luna dels fraisses : la pièce est placée cette fois sous le parrainage de Dante da Maiano, dont sont cités les deux derniers vers de l’ultime tercet d’un fameux sonnet de ce contemporain et connaissance de Dante Alighieri :
Del più non dico, che mi fè giurare :
E morta che mia madre era con ella.
L’allusion d’Uc de Saint-Circ à un désespoir n’excluant pas l’espoir se trouve remplacée par la mention d’un texte dans lequel l’éros et la mort se rejoignent à l’issue d’une aventure amoureuse dont l’auteur laisse deviner le versant charnel au-delà ce qu’en disent les mots[65].
Au sujet de la réunion sonnet / épigramme, lisons Gardy une fois de plus :
« Avec Vesper e la luna dels fraisses, dont on a vu combien il avait été nourri des écritures épigrammatiques antérieures, l’épigramme, forme privilégiée de la poésie nellienne, devient aux côtés du sonnet, que Nelli n’avait guère cultivé jusque-là, et avec lequel elle alterne de façon régulière, le point fixe d’une écriture poétique. Si, dans Arma de vertat, les “Epigramas” constituaient l’un des deux portiques, avec la section initiale, “Cronica de las nivols”, de “L’Interna Consolacion”, partie centrale et monumentale du recueil, celles-ci représentent dans Vesper, la continuité d’une parole et d’une forme[66]. »
« Continuité d’une parole et d’une forme » : qu’il nous soit permis, en interrogeant Remembre del Lauragués et A Déodat de Sévérac (textes ci-dessus) d’insister sur le bien-fondé de cette expression. Le sonnet Remembre del Lauragués nous met devant les yeux l’une de ces innombrables fermes lauragaises, à l’écart des localités et desservies par un blanc camin, un « blanc chemin », parfois très long : ce décor, surtout lorsque la nuit l’entoure, ne peut que prédisposer l’imaginaire à rejoindre une jeune femme nue, cherchant à s’endormir dans l’une des pièces de la bòria, chose d’autant plus sensible que pour aller jusqu’à cette faiseuse de songes, il y a une trajet dans l’ombre, une quête à faire pour approcher d’elle. Chemin faisant, on se parle à soi-même des senteurs qui pourraient favoriser son sommeil : le discours semble alors arriver à un silence, comme le donnent à voir les points de suspension à la fin du vers 4 du deuxième quatrain. Mais, subitement, le propos reprend, il s’ouvre même à une dimension cosmique – …fan lo torn del mond –, en même temps qu’il embrasse une réalité universelle rendue palpable et pensable par les majuscules initiales – la Jovença e l’Estiu : c’est le monde lui-même qui alors se met à l’écoute du corps de la jeune femme livrée à ses rêves que soutient l’ardeur de la libido – son bèl còs d’ombra ardenta « son beau corps d’ombre ardente » –, faisant la nuit elle-même la complice du désir extrême – lo folitge / de la nuèit pecairitz « … la folie / de la nuit précheresse » – en quelque sorte une hypallage au plus haut degré que permette l’écriture.
Dans la pièce A Deodat de Sévérac, les rondes saisonnières des filles ouvrent la marche des événements et l’Amour devient lui-même un écoutant du musicien : c’est ce dernier, en effet, qui rassemble et anime par ses notes les juvéniles danseuses ; cependant le cadre de ce jeu n’est pas oublié : « la colline [qui] sourit comme une muse suprême », vraisemblablement la hauteur de Saint-Félix-de-Lauragais, comme le pense Gardy, est le témoin et le lieu de ces ballets ; il ne faut pas oublier, cependant, que l’image la colline souriante peut désigner chez Nelli l’ensemble formé par le réel, Real còla del long sorire « Réel colline au long sourire », ainsi qu’il est dit dans une pièce déjà citée. Les jeunes figures féminines, elles aussi rieuses ou souriantes, occupent en totalité le second quatrain : la musique, vouée à l’éternité et à la sauvegarde du souvenir, pérennise leur beauté en la confiant à un espoir lui-même inextinguible, a l’instar de fleurs que l’on n’arrêterait jamais de cueillir.
La différence de contenu, de ton et d’écriture du sonnet et des quatrains n’exclut pas l’existence de rencontres ou d’homologies entre eux, même si pour les percevoir un affinement de la lecture est indispensable. Pour ne prendre qu’un exemple, il nous paraît évident que « la nuit pécheresse » est à la dormeuse inconnue ce que la musique, en tant que substitut de la parole, est aux filles que se prêtent les saisons : de telles équipollences sont l’une des constantes de la lyrique nellienne. Nous savons fort bien qu’il n’est jamais recommandé de « raconter » des poèmes, ce que nous venons de faire, mais dans le cas présent, cet exercice nous l’avons cru nécessaire pour bien tirer profit du point de vue de Gardy, lorsqu’il émet à propos des deux pièces Remembre del Lauragués et A Deodat de Severac le jugement que voici :
« Le sonnet “Remembre del Lauragués” [….] réunit l’invocation d’un paysage, celui de la “ferme perdue / au bout du chemin blanc”, et le sentiment amoureux, restitué au plus profond de sa présence concrète (ces “granilhas aladas”, “semences ailées” à la senteur farouche “sentors feronas”, dont s’enivre l’inconnue). Les deux épigrammes qui suivent, dédiées au musicien Déodat de Sévérac, insistent sur la toute puissance d’un telle alliance entre un paysage et sa capacité à rendre sensible le réel par le truchement de l’art….[67] ».
Ultimes épigrammes ? Le songe d‘une nuit d’été (= chap. 8)
Le dernier recueil épigrammatique du poète, Per une nuèit d’estiu, vient dans ÒPOc après le texte de Beatrís de Planissòlas, œuvre qui avait reçu l’accompagnement de la musique de Jacques Charpentier et cet « opéra » avait été créée en première mondiale le 22 juillet 1971 au Festival d’Aix-en-Provence. Per une nuèit d’estiu, œuvre publié initialement en 1976, est faite uniquement de quatrains d’épigrammes.
Prenons connaissance de l’évocation d’ensemble que fait Gardy de cette suite :
« […] Per une nuèit d’estiu… se rattache à la double solidarité que nous avons vue à l’œuvre depuis de longues années dans l’écriture poétique de Nelli : celle, d’un côté, qui renvoie au “mètre antique”, mesure du vers et du temps ; et celle, d’un autre, qui fait de l’exercice de la poséie un compagnonnage entre tous ceux qui ont su, à un moment donné, saisir la présence du réel le plus intense dans un lieu, un instant de la vie universelle[68]. »
Cette affirmation, chargée de sens, mérite que l’on s’arrête à elle : nous pensons au rappel du « mètre antique », que Nelli a choisi de perpétuer. Le quatrain concerné est précisément le premier de Per una nuèit d’estiu et il est titré Lo metre antic :
Que voletz ? Soi trevat per l’antica mesura : l’escoti
Ritmar lo còr de Properci e la folor d’Hölderlin ;
Car es pus jove que ieu, e totjorn purifica e desliura,
dins mas pulsions mai segretas lo temps sacrat de la vida[69].
Cet extrait vient parfaitement à l’appui du propos de Gardy : celui-ci, nous l’avons vu un peu plus haut, qualifie « le mètre antique », c’est-à-dire le distique, de « mesure du vers et du temps », propriété à laquelle il doit la possibilité de continuer à intervenir dans une production poétique contemporaine.
Concernant la folor d’Hölderlin « la folie de Hölderlin », la mention qui en est faite montre que la fidélité au distique est confortée, dans la sensibilité de Nelli, par l’appel à quelqu’un qui à ses yeux occupait une place majeure dans l’histoire du fait poétique. Pour ce qui est de la manière dont le poète de Carcassonne a vécu ou perçu la partie de l’œuvre hölderlinienne telle que son auteur voulut la poursuivre après son acccident de santé, nous renvoyons le lecteur à la publications des Actes du colloque « René Nelli et la poésie des carrefours », tenu récemment à Carcassonne[70].
Du point de vue de la thématique et à première vue, la majorité quatrains de Per une nuèit d’estiu relève de ce que l’on nomme un bestiaire, consacré à des animaux réels mais aussi des créatures appartenant à la zoologie de l’imaginaire ou dont le nom est couramment employé au figuré. Donnons-en la liste : La Luseta-La Luciole, Lo Grilh-LeGrillon, La Vespa-La Guêpe, La Cigala-La Cigale, Lo Gat-Le Chat, Lo Gos-Le Chien, Las Cabras-Les Chèvres, Lo Pol-Le Coq, La Vipera-La Vipère, L’Escorpion-Le Scorpion, L’Unicòrn-La Licorne, Lo Papagai-Le Papegai, La Cabèca-La Chevêche ; la dernière pièce de la série, non titrée et datée de 1976, est adressée au bel Silf « le beau Sylphe » ; les pièces 3, 6, 14 et 20 sont elles aussi dépourvues de titre : la première nommée commence par l’image du blé qui vient de quitter la main du semeur et qui, dans son trajet aérien, figure l’ordre du monde et comment notre existence se ressent de cet ordre ; la seconde, d’inspiration naturiste en apparence, expose le pourquoi de l’affection que le poète porte à l’olm antic « l’orme antique » et à son feuillage empreint d’une charge de « songe » ; la troisième repose sur une comparaison véritablement hölderlinienne : la riante survenance de Vénus et son dérisoire retrait, lorsque l’aventure amoureuse prend fin, est assimilée à « des fleuves / mêlant leur douceur à la mer infinie / [et qui] dès qu’ils on tâté à son onde, prennent son goût d’amertume.[71] » ; la quatrième est le constat de l’arrivée de septembre avec : « leur frêle mur de rumeur » ne peut résiter à la montée du silence qui leur est imposée et à cette perte d’une présence sonore pourtant fragile répond la solitude de l’arbre abandonné.
Penchons-nous d’abord sur une pièce qui donne l’impression de ne pas faire partie du « bestiaire » dans le sens strict du terme mais que Nelli avait choisi pour titre de la partie concernée, à savoir L’Autò jauna (19) ; voici ce texte, que nous sommes d’autant plus heureux de citer que l’épisode qui est à son origne nous avait été raconté par René Nelli et Gaston Massat :
L’AUTÒ JAUNA
Long del riu, lo gojat e la filha an seguit son margal
Dusca al déliri fosc de l’espessor vegetala....
E l’autò jauna, a l’embat, com un mostre pacient los espèra,
Cantant sens fin tota sola e remirant la sason[72].
Gardy a fait de cette pièce un commentaire documenté et sensible :
« Témoin de leur escapade[73], les attend l’auto jaune, “comme un monstre patient ” (“com un mostre pacient”). Ni bête ni signe céleste, cette auto signifie l’immobilisation qui est aussi éternisation, du temps au plus obscur d’un amour accueilli par cette “épaisseur végétale” que célébrait déjà, d’une autre façon, le Psaume de 1948[74]. Elle est aussi, plus profondément enracinée dans le décours des années, la Bugatti – jaune – de James Ducellier l’ami de Joë Bousquet, dans lequelle ce dernier, aux temps heureux de sa jeunesse agitée, avant le désastre de Villy, le 27 mai 1918, mais aussi après 1920, aimait à se promener le long du littoral audois, du côté de la Palme et de La Franqui, ou en direction de la Montagne Noire, vers le domaine familial de Marseillens. Au jeu de la mémoire, l’auto jaune prend ainsi place dans le ciel du poète, qu’elle peuple de ses insondables pouvoirs de rêveries, comme l’ont été la licorne, le perroquet ou les scènes bucoliques du roman de Longus[75]. »
Un peu plus loin mais toujours dans la même sphère du sensible et de la sensibilité elle-même, Gardy nous remet en mémoire une phrase de Joë Bousquet, qui était l’un des passagers de la voiture lors de « l’escapade » évoquée au début de la citation précédente :
« L’automobile jaune de James [Ducellier] était là, tout simplement pour regarder plus loin que nous dans l’automne[76]. »
Gardy poursuit :
« La couleur jaune de l’automobile de James Ducellier rejoint ici le bleu des iris du château de Cabaret : l’une et l’autre matérialisent et rendent infinie la double fuite du temps, lequel, à toujours un peu plus s’éloigner, n’en a jamais terminé de se retourner sur lui-même pour contempler son visage immobile[77]. »
La phrase de Bousquet avait aussi beaucoup touché Nelli, « comme exemple, nous dit encore Gardy, de ces images qui “nous tirent hors de nos limites et nous font sentir le monde non point comme un décor, mais la conscience que notre “double” en prendrait à notre place. » Est ici posée toute la question de l’imaginaire face à la réalité, visuelle notamment, telle que la vivaient et la pensaient les poètes de Carcassonne dans les années qui vont de 1930 à 1950.
Quant aux épigrammes, notons qu’elles représentent non seulement par leur nombre mais aussi par leur contenu la moitié de l’œuvre poétique de Nelli.
Les textes face à la transcendance du poétique
Passons maintenant aux chapitres 9 à 12 du livre de Gardy, dont voici les titres dans l’ordre qui est le leur : Figures de l’imaginaire nellien : une certaine esthétique de la poésie ; La marche à Montségur ; Esclarmonde et la toile d’araignée ; L’anti-hasard : questions de forme. Il est important de marquer qu’ils s’inscrivent entièrement dans la continuité des chapitre 1 à 8, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas assimilables à des conclusions mais, au contraire, visent à aller encore plus loin dans la connaissance de la poétique de Nelli, bien que ceux qui les précèdent nous aient déjà beaucoup appris sur le sujet.
Gardy pose d’entrée de jeu que la « certaine esthétique de la poésie » (chap. 9) doit être pensée par rapport aux aspects diachroniques de l’écriture de Nelli. Nous avons observé plus haut que divers éléments constitutifs de cete écriture étaient acquis dès les premiers textes connus, ces derniers ayant souvent été par l’objet d’un travail allant jusqu’à les changer de lieu textuel, avec souvent des modifications qui les rendaient compatibles avec un nouveau contexte sans pourtant les réécrire en totalité. Gardy décrit ainsi cette démarche qui a occupé toute la vie du poète ou peu s’en faut :
« Le fait qui retient d’abord l’attention dans ce processus de construction continue, c’est la porosité existant entre les poèmes, les recueils, les époques d’écriture et les langues. Si toute œuvre poétique possède forcément son unité, fût-elle traversée de ruptures et de contradictions, dans le cas de Nelli, cette unité repose sur l’impression, à la fois étrange et rassurante, que malgré les nécessaires évolutions dues à lécoulement du temps et aux acquis divers d’une existence riche et ouvete aux influences les plus diverses, chaque poème n’est que la concrétisation, à un moment donné, d’un édifice verbal qui le dépasse et le nourrit sans relâche. Tributaire du temps, et, tout particulièrement de la durée, le poème, quoique immobilisé sous une forme qui en scelle les sons et le sens, demeure néanmoins un moment, fugace, du flux dont il a été extrait au bénéfice de ce qui sera son état d’achèvement, sa perfection ultime[78]. »
Il est donc possible de reconstruire l’histoire du texte poétique nellien, et Gardy l’a fait brillamment : il faut cependant ne jamais perdre de vue qu’en cette affaire, les variables de la chose écrite se conforment à un tracé que l’auteur a très tôt découvert, bref une propriété de son activité créatrice qui rappelle « [l’]harmonie contre tendue » héraclitéenne[79].
La fin du chapitre confirme pleinement ce que l’on vient de lire :
« La nature première et profonde du poème, ainsi, serait de rejoindre sa forme à la fois originelle et terminale : sa réalisation ultime, qu’il portait en lui dès sa première manifestation de langage, et qu’il a fallu progressivement rendre perceptible dans sa plus grande totalité[80]. »
Pour ce qui est de La Marche à Montségur, je ne m’étendrai pas : beaucoup de choses on été dites et écrites sur la place qu’a tenue, dans la vie et la création littéraire ou historique et philosophique de Nelli, la citadelle martyre, ce château dont André Breton disait qu’ « il brûle toujours » et dont nous-même avons entendu, dans la bouche du même et au pied de l’éminence portant la forteresse :
« Le château de Montségur tombe, est tombé et tombera toujours ».
Gardy rappelle fort à propos que Nelli ne s’était pas contenté d’écrire sur Montségur, mais qu’il avait aussi écrit à Montségur même. Il montre également comment la « construction continue » de la poésie nellienne se poursuit alors que l’auteur semble rechercher une sorte de coda qui serait à la fois une continuation de l’écrit antérieur et une expression, non pas testamentaire – cette façon de faire lui est toujours restée étrangère –, mais allant dans le sens d’élargissements thématiques ou jouant sur la dualité linguistique occitano-française : cette phase est marquée par un texte tendant à un renouvellement de l’image du site dont le poète avait fait son Thabor, l’Òda a Montsegur qui, après une préfiguration en français titrée Château où Dieu est un autre, aboutit à un monument verbal imposant dans lequel sont réunis la préoccupation philosophique, la question spirituelle, le souvenir historique, la signification entrevue de notre destin ; dans le même contexte s’inscrit Temps folzejat « Temps foudroyé », œuvre qui clôture l’Òbra Poëtica occitana.
C’est aussi dans ces mêmes parages d’écriture que se situent les recueils en français Les Poèmes du chanvre indien (1979), les Sonnets monosyllabiques (1979 et 1985), que suivront en 1990 les Sonnets monosyllabiques occitans ; rappelons aussi dès 11963 la parution, plus haut signalée, de Point de langage. Cette coabitation franco-occitane de ces parties de l’œuvre de Nelli donne lieu de la part de Gardy à des remarques dont le lecteur ne pourra qu’apprécier la minutie et l’importance en ce qui regarde la manière dont Nelli conduisait son écriture en direction d’un résultat qui ne pouvait que s’appeler la poésie dans son accomplissement – il s’agit justement, dans l’extrait qui va être cité, de l’ Òda a Montsegur :
« … le poème, tout en conservant l’essentiel de son contenu et de sa dynamique, a subi d’importantes transformations….. : de suite de doubles distiques aisément identifiables comme tels, il est devenu ode, et cette transformation a retenti sur l’apparence de son organisation strophique et métrique. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit toujours de Montségur, le début du poème l’affirme clairement. Cependant, le cheminement emprunté pour aboutir à la formulation finale n’est plus exactement le même. Comme si le surgissement enfin pleinement réalisé de Montségur au cœur de la poésie nellienne, longuement préparé et médité depuis des dizaines d’années, en devenant effectif, s’était accompagné d’une sorte de saut formel : celui qui mène du distique à l’ode, à l’antique elle aussi, mais autrement organisée, tout en conservant, en filigrane, la forme antérieure, sans laquelle elle ne serait pas[81].
Sur la traversée du temps et du langage par l’écriture
Le titre du chapitre 11, Esclarmonde et la toile d’araignée, par la référence à l’une des martyres de Montségur, signifie d’abord qu’il continue d’une certaine façon le chapitre précédent de l’ouvrage, La Marche à Montségur. Mais son contenue ne se limite pas à ce prolongement : il contient en effet une véritable étude dans laquelle l’auteur s’est astreint à décrire en profondeur la nature du cheminement que Nelli avait fait suivre à l’énoncé poétique. Le point de départ est une pièce parue dans ÒC en 1945, La Tela d’aranha « La Toile d’araignée ». Ce texte, par la suite, ne connaîtra pas de nouvelle publication à l’identique. Mais il ne sera pas pour autant perdu en totalité : plusieurs de ses passages reparaîtront, en 1952, avec ou sans modification, inclus dans des pièces postérieures et nouvelles du recueil Epigramas d’Arma de vertat, à savoir les quatrains VII, VIII[82]. Voici leurs incipits :
L’arbre que s’acaparicia un cèl qu’es per las blandas « L’arbre tout en caprice un ciel pour salamanderes »(VII)
Amont d’ingrats torets tarisson la tempora « Là-bas d’ingrats coteaux traissent la saison » (VIII).
De plus, ainsi que le démontre Gardy, le quatrain IX, (La filha que davala un camin de calhaus) a aussi hérité d’inflexions venant du texte de 1945, tout comme le troisième segment de la strophe III de L’Interna consolacion « L’internelle consolation »[83], dont nous reproduisons ci-après les sept derniers vers :
..........................................
La telaranha s’embrolhassa
a la lucarna esbrondelada.
Ton regard que s’i definís
a l’envès de l’estela interna
non sabi quin astre de clòta
se pinta negre coma l’aranha
al fons d’un tomple d’estrechor....[84]
En confrontant les textes qui viennent d’être citées, on met en évidence une constellation de formes lexicales qui se répètent de l’un à l’autre et qui ont en commun de posséder en elles le groupe -ela ou -èla : telaranha « toile d’araignée », casèla « cabane », estela / estèla « étoile ». Cette constellation n’est en rien due aux hasards de l’écriture : il s’agit d’une sorte de paradigme poétique qui, dans sa totalité ou en partie, a donc été plusieurs fois mobilisé par l’écriture de Nelli. Du point de vue de la versification, il est arrivé que ses constituants permettent des rimes internes, parfois doubles, comme dans le deuxième couple de vers du quatrain VIII précité d’Epigramas, « Amont d’ingrats torets tarisson la tempora… » :
Quand l’estèla dubrís son desèrt fervorós
la casèla esclarís sa lusor de calelha[85].
L’isophonie des deux segments l’estèla dubrís et la casèla esclarís n’a rien de gratuit : la lumière de l’étoile et celle de la lanterne dans la cabane, bien que situées aux deux extrêmes du champ de vision, ont partie liée dans l’énoncé poétique, situation que renforce par sa matérialité même le double jeu des rimes.
Le point de vue de Gardy, qui bien sûr présente les choses à sa manière, nous paraît rejoindre celui que nous venons de proposer :
« Dans ce jeu [le jeu par lequel Nelli réactualise des parties de textes antérieurs], l’estèla sugit de la rencontre entre la tela et la casèla initiales, au contact du verbe esclarís, suivant en cela une dérive des sons et des sens propre au poème lui-même, à l’évidence, mais faisant aussi écho à des figures déjà expérimentées par d’autres poètes, et refaisant ici discrètement surface, entre effets mémoriels et glissements spéculaires[86]. »
Si l’on désire prendre un autre exemple, avec des éléments du « paradigme » plus marqués, au moins au premier degré, par la différence formelle, on s’adressera à la pièce « L’arbre que s’acaparicia un cèl qu’es per las blandas »(VII). Voici ce texte dans sa totalité :
L’arbre que s’acaparicia un cèl qu’es per las blandas
e cada glop que cai tira dins l’eternal
sus la fragila astrada en tela de rosal
ont l’aranha a cargat sa crotz e sa finèstra[87].
À l’évidence, les mots-clés sont ici eternal, astrada, tela de rosal, aranha et par le dernier nommé, aranha, nous comprenons pourquoi, dans le titre de son chapitre, Gardy a fait figurer « la toile d’araignée » : l’insecte en question est certes évoqué dans le dernier vers du quatrain, mais l’image de l’activité qui lui est prêtée, le poète la fera d’une certaine façon « refluer » jusqu’à l’écriture magistrale de L’Interna consolacion : le passage concerné a été plus haut cité, dans lequel, rappelons-le, « à l’envers de l’étoile interne », un « astre de cave / se peint noir comme l’araignée / au fond du gouffre d’étroitesse » En dépit des différences textuelles, on voit bien que l’écriture du poète a pris totalement possession de l’aranha qu’elle fait cohabiter avec ces maîtres-mots que sont eternal, astrada, tela de rosal : si la bestiole s’est signalée par sa noirceur dans L’Interna consolacion, elle modèle une toile porteuse d’une figure cruciforme dans le quatrain ci-dessus. Gardy rend tout cela présent :
« … à travers le langage et les rapprochements ou les glissements que celui-ci rend possibles, c’est la nature même de la présence universelle qui est ainsi approchée et rendue perceptible. L’étoile et la toile ne sont pas seulement des “mots”, ce sont aussi des “êtres”, prami tous ceux qui peuplent le cosmos et dont le poète peut observer la présence à ses côtés[88]. »
Nous sommes ici au centre de ce que Gardy appelle dans son livre « [l’]approche du monde par le biais du langage » : la toile d’araignée est elle aussi une écriture, aussi bien dans son être d’objet extérieur vu quelque part dans le monde que par l’être que la poésie octroie.
Relisons maintenant la pièce IX d’Epigramas :
La filha que davala un camin de calhaus
dins una olor de solelh freg sus las vendémias
e qu’abriva en corrent tot l’amot de son arma
repren son còs de nuéit urós e desontat[89].
L’approche qu’en propose Gardy nous a paru particulièrement significative de sa manière de conduire l’examen de la lyrique nellienne :
« Si les épigrammes VII et VIII [il en a été déjà question ci-dessus] se concentraient autour du paysage et de ses composantes essentielles, seule demeure ici, nocturne dans une aura de vendanges, la jeune fille courant sur le chemin. Cette course amoureuse en prend une valeur absolue, qui élève la scène à la hauteur des deux paysages qui précèdent. On comprend mieux que cette épigramme n° IX soit la dernière de la première série : elle en apparaît comme l’aboutissement ultime[90]. »
Tout commentaire serait ici superflu.
La figure d’Esclarmonde, annoncée par le titre du chapitre 11, est l’une des constantes de la thématique nellienne : on sait que le poète a été aussi l’un des grands spécialistes de la gnose cathare. On connaît aussi son grand texte Òda a Montsegur, sur lequel nous avons eu la satisfaction d’écrire une étude publiée en 2007[91]. La présence d’Esclarmonde dans le chapitre 11 du livre de Gardy et son lien avec la « Toile d’araignée » est d’abord la citation d’une épigramme remontant elle aussi à 1942, c’est-à-dire à l’époque où Nelli s’apprêtait à donner cette forme à la presque moitié de son écriture poétique :
Ara, Esclarmonda, ta gràcia es pus res qu’une remembre de flama
sempre divin e raiant dins los desastres del monde.
Luenh d’aquel pueg que lo vent i restropa l’azur de tas cendres,
trevas l’amor que, segur, vibra l’abís de sa lume[92].
Dans l’Òda a Montsegur, il n’est pas inutile de le rappeler, à la châtelaine tragique deux strophes sont consacrées, qui nous atteignent au plus profond de nous-même et qui sont un grand moment de l’écriture nellienne en ce qu’elles nous rappellent que la mort par le feu est un destin qui concerne chacun de nous :
Esclarmonda a rejunt son esséncia
esbleugida : sa glòria
aclara pas d’are en lai
que los desastres del monde,
e sus l’abís ont sa cendre
es totjorn per lo vent estralhada,
trembla lo temps que s’acaba
dins lo vairar de la gràcia.
E mai los èlfes, per fòrça riblats
a l’orror del suplici,
traucant la rusca raianta
dins la clartat s’esvaporan ;
e l’emprenta dels mòrts consolats
i crema pas qu’a las raras
de son infèrn e del nòstre.[93]
La première de ces deux strophes met à l’épreuve de ce que nous avons pris l’habitude d’appeler une formule poétique absolue : celle de la dispersion perpétuelle des cendres d’Esclarmonde, liée au destin du monde considéré dans sa totalité et résolu par l’annihilation du temps dans sa forme linéaire, avec l’avènement d’un salut excluant le néant : lo vairar de la gràcia. Nous devons préciser que pour nous, la formule poétique absolue est l’opposé de la formule philsophique, cette dernière étant nécessairement dépendante du détour par le criticisme, alors que la première s’impose d’emblée à nous dans sa complétude et son indivisibilité. Dans le texte cité, la formule poétique absolue passe par l’image ; dans d’autres et toujours sous la plume de Nelli, elle peut se réduire à une simple déclaration enfermant tout le pathétique d’une situation donnée, tel ce propos par lequel Pierre Clergue, promis au bûcher, termine ses adieux à Béatrice de Planissoles :
Siá, Beatrís, la darrièr instant de ma mòrt[94].
Pour ce qui est de l’autre strophe, nous invitons le lecteur à porter son attention sur l’expression l’emprenta dels mòrts consolats « l’empreinte des morts consolés » : nous sonnes certains que l’adjectif consolats n’est pas venue d’un simple jeu de plume dans l’écriture de Nelli, nous avons la conviction qu’elle renvoie au consolamentum, lo consolament, pratique essentielle de l’église cathare et que l’on pourrait définir comme un sacrement de la parole, ce qu’il était vraiment, acte mettant en jeu un prononcé définitif et irrévocable.
Dans les lignes qui précèdent, malgré le caractère personnel de notre réflexion, nous pensons ne pas nous être éloigné de la pensée de Gardy, quand il déclare :
« Écrire la poésie, c’est ouvrir le poème en sachant qu’il sera bien difficile de le refermer, tant celui-ci, au fur et à mesure qu’il semble prendre forme et sens, s’échappe à lui-même. Tenter de vaincre cette usure revient à tenter d’immobiliser le passage du temps en des figures plus fixées, plus solidement arrimées à la dérive du monde[95]. »
La présence dans l’écriture de Nelli des formules poétiques absolues nous invite précisément à réfléchir sur la démarche qui consiste à « ouvrir le poème ». Plus que quiconque peut-être, Nelli, ne serait-ce par ses retours sur du déjà écrit pour l’adapter à un contexte nouveau, a infléchi son écriture pour la rendre capable de la percée que nous venons de dire.
La partie finale du livre
Elle comprend le chapitre 12 L’anti-hasard, questions de forme et une conclusion non numérotée dont le titre nous ramène à celui de l’ouvrage : Vers le « poème parfait » : cette particularité est évidemment à mettre en rapport avec ce que nous avons plus haut nommé circularité et caractère biunivoque de la relation qu’entretiennent entre eux les trois points d’ancrage du lyrisme nellien temps, paysage et parole.
Dans les pages qu’il consacre à L’anti-hasard,, Gardy insiste sur le besoin ressenti par le poète de doter son écriture d’un « lieu central », dont il « n’a pas cessé de vouloir cerner les contours susceptibles de le faire émerger et de le rendre effectif[96]. » Toufefois Gardy prend soin de rappeler que cette recherche ne s’est jamais refermée sur elle-même au point d’aboutir à un formalisme pur et dur[97].
Le chapitre nous éclaire également sur la façon dont Nelli, par rapport à la pluricité des formes métriques et prosodiques, a conduit son expérience d’écriture : nous recommandons sur ce point la synthèse des p. 327-331. Nous devons aussi attirer l’attention du lecteur sur ce qui nous est dit une dernière fois dans le livre de Diu Crone, pièce que nous avons déjà évoquée, définie par Gardy comme « poème météorique ». Sans oublier bien-sûr L’Infrarouge (1973).
S’agissant des douze pages de Vers le poème parfait ?, j’ai eu le sentiment qu’elles appartiennent plus que les autres à Gardy lui-même : il n’a certes pas voulu s’astreindre à écrire une conclusion conforme aux préceptes de la rhétorique, mais nous avons cru percevoir qu’il a eu quelque peine à pendre congé du travail auquel il venait de se livrer. Quoi qu’il en soit, nous trouvons dans cette partie du livre l’évocation de faits dont nous-même avons éprouvé le poids, avec tout ce que le Carcassonne de Bousquet et de Nelli nous avait autrefois donné à vivre, avait déposé en nous. Nous avons été particulièrement ému en lisant le développement consacré à la réalisation du « conte parfait » : elle avait occupé Joë Bousquet dans les dernières années de sa vie, il l’avait vécue comme la quête « [d’]une forme d’écriture entièrement purifiée », dans laquelle parviendraient à se fondre « la narration et le langage, libérés de toute attache superflue » : alors que Nelli se livrait à « une autre ascèse, celle du poème inachevé et inachevable, tout entier tendu vers une forme “parfaite”, – la sienne propre – qui n’a d’autre réalité que son inaccessibilité de principe.[98] »
Gardy a eu complètement raison de terminer son livre en rappelant comment s’étaient rencontrées les préoccupations de deux poètes majeurs, chacun d’entre eux conservant la totale maîtrise de leur écriture.
Annexe : références à ÒPOc
Le temps des épigrammes 1 ( = chapitre 4)
Aquel mai es negrós trepelat d’amarum e d’aurassas…., p. 58-59 ; MONTSEGUR, p. 62-63 ; A MAX ROQUETA, ibid. ; E lo tendre ametlièr…p. 144-145 ; CIUTAT DE CARCASSONA, p. 62-63 ; Al temps de Mai, quand l’aucèl renovèla sa canta e q’ausissi…. p. 148-149.
Vers Arma de Vertat. 2 : Epigramas (= chap. 6)
La colada sens cèl es color de beutat / i passejam daurats per la folor del ser, p. 56-57, pièce VI ; la casèla esclarís sa lusor de calelha, ibid., pièce VIII ; TOT LEGISSENT HESIOD, p. 60-61 ; Cada ròsa defalh : Sa beutat tornarà pas florir, série ANTICAS, p. 58-59 (troisième pièce ; sans numéro) ; Lume que cilhas de pluèja o benlèu que de bada ploravi, p. 60-61 (deuxième pièce ; sans numéro) ; Son lorditge obesís a l’antica musica : Que bale !, p. 60-61 (troisième pièce ; sans numéro) ; Tota nusa dins sa votz coma una flor dins sa rauba, ibid. (quatrième pièce ; sans numéro).
Le temps des épigrammes 2 Vesper e la luna dels fraissses = (chap. 7)
Com la font de Fontièrs que fernís son flaüt de folhum / dins nòstres còrs fugitius mou sa musica e s’escapa (texte de la revue Òc, 1955), dans ÒPOc, p. 167 : Mas, com la font de Fontièrs, quand fernís son flaüt de folhum / per nòstres còrs fugitius mòu sa musica e s’escapa ; Es totjorn lo metèis vilatjòt de fum blau, la metèissa / cambra de gip…, ibid. (les deux extraits appartiennent à la même pièce) ; Es lo temps que l’òm semana : lo blat, un brivet, se susvòla / entre la man larg dubèrta… (texte de la revue Òc, 1955) : dans ÒPOc. p. 230-231, n° 3 : …. lo blat un brivet s’enlumina / Entre la man que se duèrb e lo neient de las regas…) ; L’escalinada acaissada entre los murs de deman, p. 156-157 ; E ne remena l’estela dins lo planhum dels anhèls, p. 168-169 ; Mièg-partit de solelh e de luna, aquel arbre brosesc / dins son laüt me recata nòstre estelum de naissença, p. à faire ; Sus l’acrin s’es ancrada la luna e l’òm vei – ò Jovença ! –, p. 168-169 ; Amòr que l’estela Vesper, / entre los fraisses e la luna / durbís la sorga del cèl verd, p. 164-165 ; Tras lo neient que del mon m’assegura, / mos cors, enclaus en vostre corps, mezura / l’abis etern on ieu, jauzents, cairai., p. 172-173 ; E nòstras ombras benlèu enemigas – al rais de la luna , / las regardàvem se júnher e s’avalir dins l’abís, p. 158-159 ; Ten-me los uèlhs barrats / dins tos òrts apallits / dins ta claror sens armas / de tos castèls d’oblit, p. 160-161 ; E quand, tala una nau / comolada de glaris, / passes sus lo campestre /e si castèus roïnats, p. à faire ; e la patz que descend quand s’enauran los fums de la bòria / e ma fenèstra que brilha quora se taisan los cans, p. à faire ; lo fum blau s’enaurant del teulat de la bòria, / e la patz que va mesclar nòstras ombras / a l’ombra longa dels monts, p. à faire ; es totjorn lo metèis vilatjòt de fum blau…, p. à faire ; As enclausit, Severac, sus un modèl tant esclet, las caròlas / de las sasons desgrunant son clar escambi de filhas…, p. 146-147 ; Dins lo vent e dins l’erba sorna, / per delai lo japar dels gosses / d’un palais de cendre e d’esclam, p. : à faire ; E mila estius formar lor grapa / de passat e d’avenidor / dins lo temps que morís sa canta, p. à faire.
Ultimes épigrammes ? Le songe d‘une nuit d’été (= chap. 8)
Emai le font siague tarida, / l’aubre d’argent murmura encara / e dins sas fuelhas, dins lo vent, / los segregrets del mont s’escampilhan..., p. 10-11 ; Es lo temps qu’òm semena : : lo blat, un brivet, s’enlumina, p. 230-231, pièce 3 ; Son segret d’erba mos pès com un tresaur d’enfantessa, ibid., pièce La Luseta, n° 1 ; Mas sul fraisse esbleugit lo solelh crei totjorn, dins tas alas, / véser sos raisses vibrar a ta cançon que l’encèndra, p. 232-233, pièce 5, La Cigala ; Ò, on incèrta sason despartida entre Anhès e la Loba !, p. 236-237, pièce 12, La Nuèit et lo jorn ; E per la doçor del mel, / demembra l’abís, la bèstia, / e lo fais de son malastre, p. 14-15, pièce V, L’Òme e l’unicòrn ; E mai de còps s’ausiguèsse endilhar l’unicòrn de la guerra, p. 158-159 ; Doç unicòrn, sabi plan que siás pas qu’una bèstia d’infèrn, p. 238-239, pièce L’ Unicòrn, n° 17 ; Dusca al deliri mais fosc de l’espessor vegetala, ibid., pièce L’Autò jauna, n° 19 ; Mas podiá pas jamai júnher – tant de sauneis qie trepessi – / que la luseta cremant, al broal de la nuèit fabulosa, p. 230-231, pièce La luseta, n° 1 ; Encara un còp que ma vida prenga mesura del cèl, p. 240-241, pièce La Clepsidra, pièce 22.
[1] Les références données dans les notes particulières et introduites par l’abréviation « P. » renvoient aux ouvrages ou articles cités dans le texte principal. L’abréviation ÒPOc est celle de Renat Nelli, Òbra Poëtica Occitana, Institut d’Estudis occitans, 1981 : chacune des pièces de cet ouvrage est annoncée avec une pagination double est indiquée : sous le n° pair (page de gauche), la version française du texte, sous le n° impair (page de droite) version occitane (v. aussi la section de notre contribution intitulée L’épigrammes : un genre revivifié).
[5] ÒPOc, p. 148-149 ; « Au temps de mai, quand l’oiseau renouvelle ses chants, attentif / aux vieilles strophes qui hantent les quatre coins du passé, / je m’en vais, par le maigre sentier, jsuqu’au bord du coteau, / là où trois pins se saluent, près de la source des vents. // Je vois se lever, dans le ciel triste et verts des anciens enchanteurs, / murs dentelés, toits pointus, fin campanile et courtines : / tout le décor suscité par l’écho d’un cloche alentie : / sombres degrés pour monter du crépuscule à l’étoile. »
[6] « Cité de Carcassonne À ras de terre se lèvent dans le ciel d’un vert triste et changeant / toits pointus et créneaux, minces clochers et courtines / tout un décor hérissé à l’écho d’une cloche alentie : / sombres degrés pour monter du crépuscule à l’étoile. », ÒPOc, p. 62-63.
[7] On verra plus loin la place éminente qu’occupe cette forme dans la poésie de Nelli.
[8] Numéro spécial titré Jeune poésie d’oc.
[10] Traduction Armel Guerne ; id. pour la citation suivante.
[11] P. 61. Ainsi que nous venons de le laisser entendre, nous reviendrons sur le poème concerné.
[12] Opòc, p. 278-279. « Devant ces corps que la flamme dévêt / et revêt tour à tour, / c’est le réel qui vacille/ et se confond aux ténèbres. / Il ne reste aux bourreaux / que leur part de luxure et de haine, / et le sinistre buisson / de leurs désirs furieux. »
[14] « … à l’âge de treize ou quatorze ans, je me suis tourné avec passion vers les poèmes d’Aubanèl, que je sais encore par cœur. Et vers les troubadours, auxquels depuis quarante ans je suis toujours resté fidèle. » (traduction Gardy), p. 32 et note 2 de la même page.
[17] Lecture et souvenirs rappelés dans le texte en occitan cité un peu plus haut. Quant aux « paysages », Gardy les évoque dans la continuité de son chapitre 1, « Le paysage avant le paysage ».
[19] Ce qui ne veut pas dire que la traduction, dans le sens habituel du mot, soit totalement absente de la pratique nellienne.
[23] « C’est un pays voilé du regard de trois feuilles / où palpitent des nains craintifs qui vivent d’air. / Les épis naissent là du geste qui les cueille / et les femmes y sont plus dorées dans vert / soleil qui transparaît en vacarme désert. / La belle ote du doigt sa bague et la dépose / dans le creux de sa main comme une enceinte d’or / enserrant une ville étroite où l’amour n’ose pénétrer » :
[24] P. 123. Gardy se demande si le dernier vers de la version française du poème n’aurait pas été modifié à partir de la version occitan. ? V. aussi note 63 de la p. 124.
[25] ÒPOc, p. 134-135 ; Gardy, p. 110-111.
[26] « Je sens le froid divin / retrancher de l’amour / chaque instant aussitôt fané / et mon cœur respirer / loin dans la nuit profane / cette ombre de mort / où Dieu fait le matin. »
[27] « Âme continuée qui sens le froid divin / retrancher de l’Amour chaque instant qui le fane / — Comme un gouffre à jamais qui se photographie / du plus profond de son histoire originelle — / Respire tendrement avec la nuit profane / cette ombre de la Mort où Dieu fait le matin. », ÒPOc, p. 134-135.
[30] René Nelli, Journal spirituel d’un cathare d’aujourd’hui, 1991, p. 135 (réédition posthume).
[31] « Et cependant cet arbre pétrifié / sexe d’homme noué dans la statue compacte de l’Être / dans l’universel durcissement des résines / s’il criait son cri ne serait pas douleur / mais invocation terrible au plaisir incommunicable. » : ÒPOc, Òdas, p. 270-271. V. Aussi Point de langage et Les Poèmes du chanvre indien. ; l’un des plus grands textes de Nelli ; Gardy, p. 257-258.
[34] Réimpressison à l’identique des neuf numéros, sous le titre Chantiers, 1928-1930, avec une présentation de Daniel Fabre : « D’une jeunesse étonnante », Carcassonne, GARAE / HÉSIODE, Éditions Jean-Michel Place, Carcassonne et Paris, 1987.
[35] Cette plaquette : le premier de ses recueils qui me fut offert par Nelli en 1952.
[38] ÒPOc, p. 8 et 9. LA TOUR AUX IRIS A.S.R. « … Et son amie l’avait trahi et il avait perdu son château… » (Biographie de R. de Miraval) Château de Cabaret / Dont les tours s’emplissent / Avec mélancolie / De la cendre des siècles. Une fraîche ombre bleue / Tombe de tes murailles, / Semblable aux iris / Dont tes montagnes s’éclairent. Là-haut une seule flamme / Te sculpte dans l’azur, / Et dore l’ogive / De ta fenêtre aveugle. Mais, plus haut, dans la lumière / Mes yeux reflètent le cercle / De mort que font les buses / Sur Amour ruinée. » (Lastours, juin 1935.)
[42].Voir à ce propos La Serena, en particulier la dernière strophe de cette pièce dont le quatrième et utime vers : La musica nusa dels tomples ! « La musique nue des abîmes », ÒPOc, p. 7.
[44] La nature qui se cache : on ne peut à ce sujet que recommander la lecture du beau livre de Pierre Hadot, Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, Paris, Gallimard, NRF essais, 2004.
[45] Òpoc, p. 170-171 Desierant latrare canes.
[48] ÒPOc, Arma de vertat, II, Epigramas, pièce II, p. 54-55 ; « Réel colline au long sourire / où le cyprès jaloux tord sa ténèbre ardente / où l’olivier tel un pâle phénix / meurt pour renaître de sa cendre ! ». Gardy : p. 137-139, 296-298.
[49] ÒPOc, p. 54-55, 56-57, 58-59.
[50] Ibid., p. 56-57. « La colline sans ciel est couleur de beauté / nous passons là dorés par la folie du soir / et la flamme où la pierre et l’arbre se dénudent / nous vêt dans leur regard d’une nouvelle chair. »
[53] Paru en 1942 : il s’agit en fait d’un tiré-à-part de la revue Òc.
[54] « Quand je revois dans ma mémoire tes yeux, il me semble / Que le ciel et le Temps chantent ensemble, immobiles. »
[56] On pense évidemment à celles de « choix, recueil, extrait » : cf. Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, nouvelle édition par Pierre Flobert, Paris, Hachette-Livre, 2000, entrée egloga, avec renvoi à ecloga
[57] N’oublions pas que Nelli du point de vue de l’expression poétique, avait défini le rôle joué par le ton, pour lui absolument différent du style : « … le ton n‘est pas autre chose que la qualité invocatoire que prend la voix humaine (intérieure et non proférée), toutes les fois qu’elle réussit à s’exprimer par elle-même, en se fixant dans l’écriture avec le plus de justesse possible, la situation du poète ans le monde, ou par rapport au contenu de sa propre inspiration, dans des circonstances données et à un moment donné (celui du poème)… le “ton” poétique est, stricto sensu,un ton abstrait, purement estéhtique et formel… », dans René Nelli, « Le Style de Joë Bousquet ou l’Aventure du langage dans l’esthétique de la poésie », Cahiers du Sud, sept-nov. 1961, n° 363. Repris dans René Nelli et les Cahiers du Sud, présentation de Daniel Fabre et Jean-Pirre Piniès, Carcassonne, GARAE, 1987, p. 48-71.
[58] René Nelli, Point de langage, La Fenêtre ardente, 1963. Les incipit sont effecivement imprimés en grandes capitales. Voir aussi Gardy, p. 71.
[59] L’inoubliable DIU CRONE « La Couronne » appartient à cette série.
[60] P. 73. « Seul, le ciel t’apportait l’adieu d’un pays de Magie… / Tu t’en souviens, le soir, toute la forêt chantait. / Dans le vent la licorne devenait fumée, et les rayons de la lune / tiraient de tes veines l’or d’un grand songe sans âme. »
[62] « Qand fleurit le chardon et que bruit la cigale sur l’arbre / femmes ont beau flamber : l’arduer mâle s’éteint. / Mais que j’aie du bon vin de Biblos dans ma grotte profonde / j’y dormirai sans amour tournz vers le zéphir. » Cette transposition est celle de Nelli : pour le deuxième vers, un rendu français littéral donnerait : *« plus sont les femmes “chaudettes”, plus flasques sont les hommes. »
[63] Cette citation et les deux suivantes viennent de la p. 146.
[64] « SOUVENIR DU LAURAGAIS Dans la ferme perdue / au bout du blanc chemin, / une inconnue s’endort, /nue au niveau de ses songes. La farouche senteur / des semences ailées /tombant des frondaisons / enivre son seommeil... / La jeunesse et l’été / qui font le tour du monde / écoutent un instant / son beau corps d’ombre ardente / respirer la folie / de la nuit pécheresse. » À DÉODAT DE SÉVÉRAC Tu as charmé, Sévérac, sur un mode si pur, les caroles / et les saisons égrenant leurs beaux échanges de filles, / que l’amour à t’entendre, a repris sa plus sûre harmonie : / Vois, la colline sourit comme une muse suprême. / Jane et Lizon ne seraient que mirage ou fumée de septembre / — bien que rieur, sur le soir, leur profil tendre s’inscrive — / si dans le chant éternel où la grâce est déjà souvenir / leur plus vivante beauté ne cueilait pas son espoir.
[65] Sur ce point, nous renvoyons à notre travail « Écriture poétique et discours érudit : le gai saber de René Nelli », La voix occitane. Actes du VIIe Congrès de l’Association internationale d’études occitanes, Bordeaux, octobre 2005 ; publication par les Presses universitaires de Bordeaux, 2009, II, 1223-1240.
[69] « Que voulez-vous ? Je suis hanté par l’antique mesure : je l’écoute rythmer le cœur de Poperce et la folie de Hölderlin. Elle a gardé mieux que moi sa jeunesse, et toujours, dans mes plus secrètes pulsions, elle libère et purifie le temps sacré de la vie. » Une traduction juxtatextuelle du deuxième distique donnerait : « …. Car elle est plus jeune que moi, et toujours elle purifie et délivre /dans mes plusions les plus secrètes le temps sacré de la vie. »
[70] Colloque « René Nelli et la poésie des carrefours », 21 avril 2011, GARAE, Maison des Mémoires, Carcassonne. Notre intervention paraîtra dans les Actes sous le titre : De René Nelli à Fiedrich Hölderlin.
[71] « Venús arriba risenta e s’en torna cap clin e dolenta : / L’amor comença joiós per s’acabar et tristesa : / Atal, mesclant sa doçor a la mar infenida, los fluvis, / Tre que son onda an tastat, prenon son gost d’amarum. »
[72] « L’Auto jaune En suivant le ruisseau le garçon et la fille ont mené leur ivresse / jusqu’au plus sombre délire de l’épaisseur végétale. / Leur auto jaune comme un monstre patient, les attend à l’écart, / chantant sans fin toute seule et contemplant la saison. »
[73] Celle d’un jeune homme et d’une jeune fille pressés de satisfaire leur désir réciproque et qui ont jeté leur dévolu sur un coin de la campagne lauragaise.
[74] C’est-à-dire le Psaume du règne végétal.
[76] Joë Bousquet, Il ne fait pas assez noir, Paris, Debresse, 1932.
[79] La traduction « [l’] harmonie contre tendue » est celle de Les Présocratiques, édition établie par Jean-Paul Dumont avec la collaboration de Daniel Delattre et Jean-Lt leouis Poirier, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 1989, p. 158 et 1237.
[84] « …. La toile d’araignée s’embrouille / à la lucarne dégradée / et ton regard qui y limite / à l’envers de l’étoile interne / je ne sais quel astre de cave / se peint noir comme l’araignée / au fond du gouffre d’étroitesse. »
[85] « Quand l’étoile a rouvert son désert de ferveur / la cabane perdue allume sa lanterne. »
[86] P. 293. Au sujet « des figures déjà expérimentées par d’autres poètes » et « des effets mémoriels et glissements spéculaires », nous attirons l’attention sur l’importance de la note 16 de la p. 293.
[87] « L’arbre tout en caprice un ciel pour salamnadres / chaque goutte de pluie tombe éternellement / sur un destin fragile en toile de rosée / où l’araignée à sa fenêtre a mis sa croix.
[88] P. 294. Pour la toile d’araignée voir p. 295-296.
[89] ÒPOc, p. 58-59. « La fille qui dévale un chemin de cailloux / dans une odeur de soleil froid sur la vendange / hors d’aleine et hâtant tout l’amour de son âme / emprunte un corps de nuit au bonheur de sa honte. »
[91] Xavier Ravier, « Pour une lecture de l’ Òda a Montsegur de René Nelli», dans Le Gai savoir de René Nelli (études recueillies par Philippe Gardy), Revue des Langues Romanes, CXI, 2, p. 367-418.
[92] « Maintenant, Esclarmonde, ta grâce n’est plus qu’un souvenir de flamme. / À jamais divin et rayonnant dans les désastres du monde / Loin de ce sommet où le vent retrousse l’azur de tes cendres, / tu hantes l’amour dont, assurément, vibre l’abîme de sa lumière. »
[93] ÒPOc, p. 278-279.
« Esclarmonde a rejoint son essence / éblouie, et sa gloire / N’éclaire plus désormais / que les déesatres du monde. / Et sur l’abîme où sa cendre / est toujours par les vents dispersée / tremble le temps qui s’achève / dans le mûrir e la grâce.
Les elfes même rivés malgré eux / à l’horreur du supplice / perçant l’écorce enflammée / dans la clarté s’évaporent ; / et le bûcher s’infinise / et l’empreinte des morts consolés / n’y brûle plus qu’aux frontières / de leur enfer et du nôtre. »
[94] ÒPOc, Beatrís de Planissòlas, p. 214-215 : « Sois, Béatrice le dernier instant de ma mort. »
[97] Voir à la page susdite.
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