Modèles linguistiques
Tome XXXIII, année 2012, vol. 66 Grammaire et linguistique comparées
des langues romanes (I) * Langues et cultures régionales de France
Textes réunis par Jean-Marie Puyau et André Joly Mise en page de Dairine O'Kelly
0. Avant-propos
I. Questions de dénomination
1. Les langues régionales face au français
Henriette Walter
2. L'identification des langues
Philippe Blanchet
II. Perspectives historiques
3. Et l'Aquitaine devint romaine
Jean-Pierre Brèthes
4. Genèse et évolution de l'identité gasconne,
du haut Moyen-âge auXVlf siècle
Guilhelm Pépin
III. Les mystères de la toponymie
5. Transparence(s) et obscurité(s) de la toponymie pyrénéenne
Jean-Louis Massoure
6. Toponymie des montagnes d'Ossau
Geneviève Marsan
7. Toponymie non romane de la plaine de Nay
Joseph Rebenne
IV. Sociolinguistique
8. Les langues d'oc d'Aquitaine : compétences,
dénominations.
Lecture non occitaniste de l'enquête Sociolinguistique
du Conseil régional d'Aquitaine (2008)
Bernard Moreux
V. Deux prosateurs béarnais classiques
9. Graphie et prononciation du béarnais
Jean-Marie Puyau
10. Notices biographiques (Camelat et Palay)
André Joly
11 «La bugade », petite pastorale pour jeunes filles (1921) Simin Palay : traduit et commenté par A. Joly (Radio-lavoir)
12. La couhessioû dou Yantin (1933) Miquéu de Camelat traduit par A. Joly (La confession de Jeannot)
En suspens depuis plusieurs années dans l’attente d’une révision constitutionnelle qui jamais ne vient, le destin des langues dites régionales, ou mieux, minoritaires, va peut-être se jouer dans les mois à venir.
Les langues minoritaires historiques ne menacent ni le français ni la France. Le vrai danger est dans leur reconnaissance chichement mesurée et même, dans certains cas, dans une hostilité qui frise l’interdiction. Il fut un temps où l’on clamait paradoxalement, mais non sans raison profonde, qu’il était « interdit d’interdire ».
On devrait estimer, respecter, aimer de près ou de loin des langues qui se parlent et qui s’écrivent en France depuis des siècles. Elles font effectivement partie du patrimoine (Article 75-1 de la Constitution), donc de son histoire millénaire. Les nier, c’est non seulement renier cette histoire, mais s’inscrire en marge de la Constitution. Les reconnaître pleinement et les soutenir est à nos yeux un devoir national.
Région Aquitaine : le cas du béarnais et du gascon
Il existerait en France métropolitaine une vingtaine de langues régionales au sens courant du terme. L’incertitude quant à leur nombre exact tient en partie au décompte des langues méridionales, dites aussi « langues d’oc » — l’appellation, que l’on doit à Dante, est lourde d’ambiguïté —, par opposition aux langues du nord, ou « langues d’oïl ».
Le débat peut être résumé de manière simple : les langues du sud de la France forment-elles une seule langue, quel que soit le nom qu’on donne à celle-ci, ou bien doivent-elles être reconnues pour ce qu’elles sont réellement, chacune avec sa spécifcité linguistique et territoriale ? Elles le sont en principe dans la liste établie par la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF) en 1999.
Toutefois, le béarnais et le gascon n’y sont pas correctement représentés, du fait de leur inclusion dans la dénomination « langue d’oc ou occitan » (expression utilisée par la DGLFLF). Les conséquences peuvent en être graves à terme. Elles le sont actuellement, si l’on en juge d’après les pratiques dans la région Aquitaine à tous les niveaux. Ces pratiques sont largement discriminatoires à l’égard du béarnais et du gascon, qui ne sont pas soutenus comme ils devraient l’être s’ils étaient traités séparément en tant que langues — et, partant, en tant que cultures — structurellement autonomes.
Cette situation n’est pas acceptable du point de vue historique. Par exemple, dans l’ensemble gascon, le béarnais est écrit depuis le XIesiècle. Au Moyen Âge, c’est la langue officielle d’un État souverain, utilisée comme modèle par ses voisins.
Largement employée à l’écrit, y compris dans certains documents administratifs, jusqu’à la Révolution, le béarnais a été parlé dans les campagnes, partiellement dans les villes, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, et même dans les années 80-90, selon certaines enquêtes.
Cette situation n’est pas acceptable du point de vue linguistique. Depuis le milieu du XIXe siècle, linguistes et sociologues (cf. Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, 1982) reconnaissent que le béarnais, et plus généralement le gascon, est non seulement une langue romaneautonome, au sens génétique du terme, héritière d’un substrat aquitain très ancien, mais aussi une langue à part entière par l’ensemble de ses traits défnitoires (phonétiques, lexicaux, morphologiques et surtout syntaxiques), qui la différencient, par exemple, du languedocien et du provençal. Tout parler structuré servant à l’expression culturelle de la pensée et de l’affectivité est une langue.
Pour ce qui est de la spécificité du béarnais et du gascon, il n’est que de se plonger dans la lecture de ce chef-d’œuvre de Simin Palay qu’est le Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes dont on célèbre cette année le 80e anniversaire (Marrimpouey, Pau, 1932), réédité depuis 1961 par le Centre National de la Recherche Scientifique.
Voilà pourquoi, nous, linguistes, sociolinguistes et historiens soussignés, demandons instamment à toutes les femmes et à tous les hommes politiques de veiller à faire inscrire séparément le béarnais et le gascon dans la liste des langues de France établie par la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France :
Marie-Stéphane BOURJAC, professeur émérite des universités (Univ. du Sud Toulon-Var) — Jean-Claude CHEVALIER, professeur émérite des Universités (Paris 8) — Raphëlle COSTA DE BEAUREGARD, professeur émérite des Universités (Toulouse II) — Christian DESPLAT, professeur émérite des Universités, Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) ; président d’honneur de l’Académie de Béarn — Ahmed EL KALADI, maître de conférences (Université d’Artois, Arras) — Claude HAGÈGE, professeur au Collège de France — Hassan HAMZÉ, professeur des Universités (Univ. Lumière Lyon II) — André JOLY, professeur émérite des Universités (Paris-Sorbonne) ; co-directeur de la revue Modèles linguistiques — Georges KLEIBER, professeur émérite des Universités (Strasbourg II) — Danielle LEEMAN, professeur des Universités (Paris-Nanterre) ; responsable éditoriale des revues Langages et Langue française chez Larousse — Robert MARTIN, professeur émérite des Universités (Paris-Sorbonne) ; membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris — Bernard MOREUX, maître de conférences honoraire (Université de Pau et des Pays de l’Adour) ; auteur de dictionnaires de béarnais — Franck NEVEU, professeur des Universités (Paris-Sorbonne) — Dairine NI CHEALLAIGH, professeur des Universités (Univ. du Sud Toulon-Var) ; co-directrice de la revue Modèles linguistiques — Bernard POTTIER, professeur émérite des Universités (Paris-Sorbonne) ; membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris — Sylviane RÉMI-GIRAUD, professeur émérite des Universités (Univ. Lumière, Lyon II) — Alain REY, lexicographe, rédacteur en chef des publications des éditions Le Robert — Mario ROSSI, professeur émérite des Universités, Laboratoire CNRS Parole et Langage, Université de Provence (Aix-Marseille) — Daniel ROULLAND, professeur des Universités (Rennes II) — Pierrette VACHON-LHEUREUX, chercheuse au Fonds Gustave Guillaume, Université Laval, Québec — Henriette WALTER, professeur honoraire des Universités (Rennes II) ; École Pratique des Hautes Études, EPHE, Paris.
Pour une reconnaissance du béarnais ou du gascon comme formes de la langue occitane et non pas contre elle.
Chers Collègues linguistes,
Vous avez pris position, dans un « Manifeste » adressé aux élus et aux décideurs politiques, pour une reconnaissance du gascon et du béarnais. En fait, le texte que vous signez conteste que les formes linguistiques propres de la Gascogne et du Béarn puissent recevoir cette reconnaissance de manière appropriée dans l’affirmation de leur appartenance à la langue d’oc ou occitan.
En tant que linguistes, vous savez, au-delà ou en deçà des positions théoriques, la grande difficulté du terme de langue et la difficulté corrélative du terme de dialecte. L’uniformité totale n’existe que dans une microsociété homogène ou dans l’idéal d’une norme minutieusement posée. Dans la pratique, ce qu’on appelle « langue » est toujours un compromis qui inclut une dose de variation, qu’elle soit admise ou non. Nous écrivons « langue » entre guillemets pour insister sur le point qu’il s’agit de la langue comprise dans le sens ordinaire d’ensemble de pratiques socialement, géographiquement et historiquement reliées, et non pas de grammaire mentale intériorisée par le locuteur.
Face au fait de la variation, il y a celui de l’intercompréhension mis en avant par le linguiste Jules Ronjat comme validation de l’espace occitan. Variation comme intercompréhension présentent, bien entendu, l’une comme l’autre des degrés.
Par ailleurs, et contrairement aux hypothèses aprioriques de Gaston Paris au XIXe siècle, la variation dans l’espace génétiquement uni qu’est l’espace roman n’est pas un continuum constant ou aléatoire, mais se distribue en aires de cohérence qui correspondent aux langues historiques. Parmi ces langues, la langue d’oc ou occitan est l’une des plus anciennement et précocement individualisées par le sentiment spontané des locuteurs et des écrivains. La dialectologie moderne en a bien repéré les contours. Cette langue ainsi reconnue a reçu dès le moyen âge le nom de langue d’oc (en latin lingua occitana d’où occitan), elle a aussi, et toujours dans son ensemble, été désignée par les termes de limousin, de provençal ou de gascon, pris latissimo sensu. Le terme de gascon pour désigner l’ensemble d’oc fut particulièrement en vogue à l’époque classique et on a chassé les « gasconismes » du français jusqu’en Provence. Quant à la pratique des locuteurs, certaines des réponses à la fameuse enquête Grégoire de 1790 font bien apparaître l’existence d’une intercompréhension sur de vastes distances de l’espace d’oc.
Il y a donc un espace linguistique d’oc, espace linguistique d’intercompréhension possible et espace de variations internes comme tout espace linguistique. Cela posé et reconnu, on peut choisir. On peut choisir le repli sur le plus homogène (relativement toujours… bon nombre d’isoglosses traversent le Béarn !) ou préférer l’horizon le plus large, qui ne néglige pas le local et le particulier, mais l’intègre dans un ensemble où il reçoit toute sa pertinence. C’est un choix culturel et d’aménagement linguistique. S’agit-il seulement de maintenir une tradition ou de faire vivre une langue de culture européenne ? Le choix culturel historique de la renaissance d’oc est le choix de l’ensemble d’oc. C’est le choix dès le XVIesiècle du gascon Pèir (ou Pey) de Garròs qui revendique son gascon comme parangon de l’ensemble des parlers d’oc. C’est le cas du Félibrige qui parti de Provence a été accueilli et s’est construit dans toutes les terres d’oc, notamment en Béarn où il s’organisa dans l’Escole Gastoû Fébus. Au sein de cette école, Simin Palay, dont vous évoquez l’œuvre effectivement précieuse, défendit toujours l’unité de la langue d’oc. Issu du Félibrige, l’occitanisme, lui aussi, réunit des Gascons comme des Provençaux, des Limousins comme des Languedociens ou des Auvergnats, des Alpins d’Italie comme des Gascons aranais d’Espagne.
L’occitanisme, comme le Félibrige, accueille et organise des défenseurs de la langue de toutes les régions occitanes, et le Béarn n’est pas la moins active en ce domaine. L’occitanisme comme le Félibrige ne récuse aucune forme d’occitan. Culturellement, l’occitanisme (ou le provençalisme large et ouvert du Félibrige pour qui les Béarnais sont en un sens « provençaux ») donne à chaque parler l’horizon d’une culture ample géographiquement et historiquement. L’occitanisme respecte la diversité des parlers, mais convie à ne pas s’enfermer dans le particularisme, à fréquenter les autres formes de la langue et les productions culturelles de l’ensemble occitan. Ceux qui adhèrent à une vision large de la langue en la nommant occitan ou langue d’oc ne pensent pas que Frédéric Mistral, Robert Lafont ou Max-Philippe Delavoüet soient réservés aux Provençaux, Bernard Manciet aux Gascons (voire aux Lanusquets…), Max Rouquette et Jean Boudou aux Languedociens, Marcelle Delpastre aux Limousins, pour citer des auteurs connus et récents. Ceux pour qui la langue d’oc ou occitan va « des Alpes aux Pyrénées » pensent aussi que la floraison médiévale des troubadours fait partie de la culture de tous les Occitans et que la langue de tous les Occitans est la langue des troubadours et la prolonge historiquement comme culturellement, quelle que soit leur forme d’expression moderne. C’est ainsi que dans l’enseignement primaire, secondaire ou universitaire, se transmet une culture forte et substantielle, dans le respect total des formes locales d’expression.
Le béarnais et le gascon ne sont pas moins reconnus en l’étant comme formes de l’occitan que s’ils étaient extraits de cet ensemble, au contraire. Le texte du Manifeste a raison sur un point : il est possible et souhaitable que « les langues dites régionales » voient dans les mois qui viennent leur reconnaissance améliorée et par là leur transmission et leur vie sociale facilitée. C’est un des espoirs que fait naître l’alternance politique en cours. La liste de langues de la DGLFLF qu’évoque aussi le manifeste est celle des langues de France établie par notre collègue linguiste Bernard Cerquiglini. Elle a le grand mérite d’une quasi-exhaustivité mais le défaut de suggérer au public une énorme et ingérable multiplicité elistant plus de 70 langues… Il faut donc distinguer les situations parce qu’elles appellent des réponses politiques différentes. Il faut notamment mettre en évidence, à côté des situations elles-mêmes diverses des DOM-TOM, les quelques langues territoriales métropolitaines. Elles sont peu nombreuses et bien connues : basque, breton, flamand, parlers germaniques d’Alsace-Moselle, corse, francoprovençal ou alporhodanien, catalan et occitan. Chacune de ces langues présente des variations internes, comme en présente aussi le français ou langue d’oïl dans ses formes vernaculaires. C’est sur la base de ces ensembles reconnus que l’on peut définir une politique linguistique lisible et articulée. Notamment une politique linguistique de l’enseignement et de l’audiovisuel. Et cette articulation comporte la gestion, dans chaque ensemble, d’une variation que personne ne nie, mais qui ne doit pas être le prétexte d’une pulvérisation des entités linguistiques et culturelles qui serait le plus sûr moyen de sceller leur déchéance définitive et leur extinction accélérée.
Nous vous invitons donc, chers Collègues, à reconsidérer votre soutien à un manifeste qui ne peut que nuire à la cause de l’occitan ou langue d’oc, et en particulier à ceux qui en Gascogne et en Béarn défendent cette langue sous ses formes gasconnes et béarnaises.
Nous vous invitons en revanche à soutenir avec nous une pleine reconnaissance des droits des langues de France, de l’occitan notamment, dans ses formes gasconnes, béarnaises comme provençales, niçoises, auvergnates, limousines, alpines et languedociennes. Cette reconnaissance passe notamment par la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Elle suppose aussi sa traduction dans les institutions françaises, que pourrait porter et encadrer une loi, et une véritable prise en compte dans la politique culturelle, audiovisuelle, scolaire et universitaire à laquelle nous appelons.
Bien amicalement, nous comptons sur vous, chers Collègues, pour mener avec nous le combat au bon niveau.
Premiers signataires
Alain ALCOUFFE (Université de Toulouse I-Capitole)
Michel BANNIARD (Université de Toulouse II-Le Mirail & EPHE)
Dominique BILLY (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Hélène BIU (Université de Paris IV)
Philippe BIU (Université de Pau-Pays de l’Adour)
Gilda CAITI-RUSSO (Université de Montpellier III)
Jean-Yves CASANOVA (Université de Pau-Pays de l’Adour)
Gilles COUFFIGNAL (Université de Toulouse II)
Pierre ESCUDÉ (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Jean-Claude FORÊT (Université de Montpellier III)
Philippe GARDY (CNRS Paris-Carcassonne)
Joëlle GINESTET (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Gérard GOUIRAN (Université de Montpellier III)
Jacques GOURC (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Patricia HEINIGER-CASTERET (Université de Pau-Pays de l’Adour)
Christian LAGARDE (Université de Perpignan)
Hervé LIEUTARD (Université de Montpellier III)
Philippe MARTEL (Université de Montpellier III)
Rémy PECH (Université de Toulouse II- Le Mirail)
François PIC (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Patrice POUJADE (Université de Perpignan)
Xavier RAVIER (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Jean-Claude RIXTE (Université d’Avignon)
Patrick SAUZET (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Jean SIBILLE (CNRS Toulouse)
Jacques TAUPIAC (Institut Catholique Toulouse)
Hervé TERRAL (Université de Toulouse II-Le Mirail)
Jean THOMAS (Université Champollion - Albi)
Claire TORREILLES (Université de Montpellier III)
Florian VERNET (Université de Montpellier III)
Marie-Jeanne VERNY (Université de Montpellier III)
Sur un Manifeste béarnais et ses suites occitanistes (auteur : Jean Lafitte)
Titre préliminaire
Deux prouclams antagonistes… et hors du temps
0-1 – Lettre ouverte contre Manifeste
La fin mai 2012 a vu la mise sur Internet de deux documents publiés par des universitaires, un Manifeste en faveur d’une reconnaissance officielle séparée du béarnais et du gascon comme langue de France, et une Lettre ouverte contre cette séparation d’une langue occitane affirmée comme unique. En aout, les écrivains du Pen-Club occitan ont lancé à leur tour un « Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue et de la culture d’Oc » :
http://www.petitions24.net/manifeste_affirmant_le_caractere_un_et_divers_de_la_langue_doc
Aux 21 universitaires signataires du premier ont répondu 31 de la seconde, et à ce jour, en neuf mois, le Pen-Club a recueilli 2 779 signatures.
De tout cela, j’aurais pu me laver les mains, n’ayant été consulté par aucun des promoteurs de ces textes, alors que je fus le rédacteur principal du mémoire remis le 4 avril 2005 à M. Xavier North, après qu’il eût succédé à B. Cerquiglini comme Délégué général à la langue française et aux langues de France en octobre 2004. Présenté par l’Union provençale, le Cercle d’Auvergne, le Conservatoire de Gascogne et l’Institut béarnais et gascon, il demandait expressément la reconnaissance comme langues autonomes du provençal, de l’auvergnat et du gascon et celle des noms particuliers de béarnais et de niçois, respectivement pour les parlers provençaux de l’ancien comté de Nice et les gascons de l’ancienne vicomté de Béarn. Ce mémoire très argumenté, Langues d’oc, langues de France, fut publié l’année suivante en un livret à couverture rouge. Six ans après, il se vend toujours bien :
http://www.amazon.fr/gp/bestsellers/books/406400/ref=pd_zg_hrsr_b_1_4_last
Mais mon attachement à la cause défendue par l’I.B.G. et les autres associations de l’Alliance des langues d’oc me fit un devoir d’intervenir. Il me fut facile de relever les erreurs de base et les faiblesses du Manifeste béarnais ; mais répondre de façon difficilement parable aux arguments légers des occitanistes m’a engagé dans un long travail pour traiter à fond des sujets sur lesquels depuis longtemps on répète à peu près n’importe quoi. Finalement, ne recevant aucun encouragement de mes amis, je ne suis pas arrivé à un « produit fini » alors que l’actualité m’obligeait a d’autres travaux, utilisant souvent les données déjà recueillies. D’un premier document adressé au début de septembre 2012 à une liste d’amis, dont les dirigeants de l’I.B.G., je tire donc ce qui me parait publiable aujourd’hui.
0-2 – Le débat universitaire : pavane pour une langue défunte ?
Il me parait nécessaire de dépassionner d’avance le débat, car la langue gasconne et béarnaise en est aus arpuns, aux derniers soubresauts de l’agonisant… et ce n’est pas la seule…
Dans l’édition 1978 de son Que sais-je ? La langue occitane, en un texte rédigé après 1972, le Pr. Pierre Bec, alors président de l’Institut d’études occitanes, avait déjà annoncé la mort prochaine de tous les parlers d’oc (p. 121) :
« On peut penser que la langue abandonnée à sa simple résistance naturelle, en est à son dernier soupir et que les hommes de notre génération pourront assister à sa mort. La mort de l’occitan est écrite dans le procès entamé depuis des siècles et de plus en plus accéléré depuis vingt ans. »
Et Jean Sibille, alors chargé de mission pour les langues régionales à la Délégation générale à la langue française et occitaniste affirmé, achevait sur le même ton sa communication à un colloque de mai 2000 :
«… on peut prévoir que la pratique vernaculaire héritée aura totalement cessé dans une trentaine d’années. »
Me limitant au béarnais, j’en ai vu une preuve naïve dans les messages des lecteurs que la presse paloise (La République des Pyrénées et l’ Éclair) publie à l’occasion de quelques dates d’échanges entre amis ou parents, jour de l’an, St Valentin, fête des Mères, etc. : un seul en béarnais sur 200 en 2004, aucun au jour de l’an 2012 ; j’en fis l’objet d’une contribution à Alternatives paloises :
http://www.alternatives-paloises.com/article.php3?id_article=5609
Malgré ce constat public, ni le camp « béarniste » ni le camp « occitaniste » ne réagirent, puisque le vide béarnais (ou « occitan » !) persistait à la St Valentin :
http://www.alternatives-paloises.com/article.php3?id_article=5703
Même constat pour la fête des Mères, et ça ne s’est pas arrangé en 2013.
Je pourrais donner bien d’autres indices de cette disparition de la langue de l’usage social, mais ne pourrais faire mieux que Fabrice Bernissan, professeur d’« occitan » et président de Nosauts de Bigòrra, section de l’I.E.O. des Hautes-Pyrénées : « Combien de locuteurs compte l’occitan en 2012 ? », Revue de linguistique romane, 2nd sem. 2012, pp. 467-512. Après avoir mené avec rigueur des enquêtes de terrain très poussées dans son département, il en a étendu les résultats avec prudence et nuances aux 14 881 830 habitants des 32 départements du domaine d’oc ; p. 493, il conclut sur le nombre très probable de 110 000 locuteurs, soit à peine 0,74 % de la population et 21 % des 526 000 de l’INSEE en 1999. Et pour l’avenir :
« D’après la répartition démographique par tranches d’âges des locuteurs recensés dans les Hautes-Pyrénées, et en appliquant le pourcentage annuel de recul de la langue, il demeurera en 2020 moins de 40 000 locuteurs natifs de l’occitan. En 2030 ils seront 14 000. En 2050 il demeurera une centaine de locuteurs natifs. Les néo-locuteurs de l’occitan sont probablement aujourd’hui au nombre de 20 000. Le nombre des néo-locuteurs pourrait être stabilisé si le dispositif actuel de transmission par les filières de l’enseignement est maintenu. »
Mais ce n’est que l’aboutissement du « procès entamé depuis des siècles » (P. Bec cité plus haut) ; ainsi, pour le gascon, tout laisse entendre que Fébus, son entourage et ses hôtes “étrangers” pratiquaient déjà largement le français. Et je ne parle pas de la cour de Jeanne d’Albret, princesse française !!!
Il est vrai qu’un heureux concours de circonstances a fait de moi un auditeur fidèle et même un ami de Michel Banniard, et que l’une des premières leçons que j’en ai retenu, c’est que ce sont les couches supérieurs des sociétés qui en mènent les langues. Même mortes, les langues peuvent faire l’objet de savantes études, mais elles ne vivent que par l’usage, et cet usage leur vaut prestige ou mépris selon le rang social de ceux qui les parlent.
Les politiques que chaque camp veut convaincre sont sans doute mal informés de ces sujets complexes, mais ils savent que, rares et très âgés, les derniers locuteurs habituels de béarnais n’ont aucun poids politique. On peut imaginer l’effet que leur fera ce débat entre universitaires qui exhibent leurs titres comme d’autres leurs biceps, leurs tatouages ou leurs galons.
D’où le cri du cœur de l’authentique militant Michel Pujol dans un message du 21 mai 2012, que je traduis de son beau gascon du Couserans :
Il s'agit d'un ouvrage de 176 pages publiés dans les Cahiers de l'Observatoire des pratiques linguistiques, n° 3, 2012, Editions Privat, 10 rue des Arts, BP38028, 31080 Toulouse.
Un article de P. SAUZET, de l'Université de Toulouse-le-Mirail, intitulé : Occitan: de l'importance d'être une langue (pp. 87-106) mérite toute l'attention de ceux qui s'intéressent au domaine d'Òc.
Voici les différentes parties de cet article :
1- L'occitan n'est pas posé de l'extérieur
2- Evidence médiévale de l'occitan
3- Déchéance moderne
4- Le patois et les linguistes
5- L'occitan contre Babel
L'arrière-plan de cette étude se situe dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler, empruntant à Du Bellay : Défense et Illustration de la langue occitane.
Mais la réduire à ce cadre, qui pourrait paraître à la seule lecture du titre assez étroit à beaucoup de gascons, serait faire fi d'une qualité éminente de cette analyse, qualité rare : elle nous pousse à une véritable réflexion - c'est-à dire en profondeur - à partir du terme "occitan". Cette réflexion nous oblige à transcender ce qu'on nomme "les clivages" et, surtout, à élargir le champ de nos perceptions linguistiques bien au-delà de nos préjugés.
Le compte rendu de cet article sera composé uniquement de citations du texte de P. Sauzet (les n° renvoient aux parties ci-dessus)
1-
"L'occitan est un cas d'école pour ce qui est du statut de langue; Il n'est défini par rien d'externe : géographie, histoire ou migrations de peuples."
"L'occitan n'a pas la force que donne à une langue le fait de compter une masse de "femmes analphabètes et unilingues" qui dans une société moderne oblige au moins à la prendre en compte, ne serait-ce que comme problème."
"Un point extrême de la non-institutionnalisation de l'occitan, c'est le fait qu'il ne soit pas même posé en victime. Le français est une langue dominante qui se pose néanmoins en langue menacée [...]. Cette fragilité attribuée au français lui-même prive l'occitan (et en l'occurrence l'ensemble des langues de France réellement menacées) de la valorisation, de la sollicitude que devrait lui valoir sa situation de langue réellement en danger."
2-
"Sans être porté de l'extérieur, l'occitan ne s'en trouve pas moins donné dans une forme d'évidence. cette évidence n'est pas incompatible avec une sorte d'invisibilité : ce qui va de soi n'a pas besoin d'être dit"
"Le terme 'occitan' qui émerge au cours du Moyen Âge pour nommer la langue mérite que l'on s'y arrête. la nature de la désignation suggère un processus spontané, la reconnaissance par un schibboleth, le fait de direoc pour affirmer."
"[...] quand la patria occitana et sa langue se trouvent reconnues dans les institutions du Royaume, le français (que représentent les mots oïl, nenni) est revendiqué comme un des symboles du pouvoir royal : [...] La langue d'oc est dans le Royaume (au moins pour une bonne part et elle y est reconnue dans sa spécificité), mais la langue du Royaume est le français."
" La thèse [i-e de l'antériorité du gascon] est réactivée par Chambon & Greub 2002 sur des bases de pure phonétique historique qui demandent une discussion qui ne saurait être menée ici. Notons seulement que l'ancienneté d'un changement phonétique n'implique pas sa capacité à détacher comme une langue le parler qui le connaît."
"Dans les Leys, le gascon n'est une autre langue que par hyperbole de censure puriste."
3-
"La censure du gascon par les Leys était en partie celle des formes populaires."
" La désignation 'gascon' déborde la Gascogne (i-e avec Pey de Garros] à partir du XVIe siècle en accompagnant un occitan qui se relance à partir de son oralité après la ruine de ses acrolectes civiques et littéraires classiques. Voila comment on peut comprendre ce paradoxe d'un gascon qui après avoir été rejeté comme étranger devient le nom de toute la langue d'oc."
"Influence (i-e mortifère] sur l'occitan - seule autre langue vulgaire d'usage public dans le Royaume - de l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et, sur les patois du texte de l'abbé Grégoire."
4-
"Le premier rôle que peuvent jouer les linguistes est de briser l'opposition entre description scientifique de l'occitan et pratique de la langue"
5-
"Parler occitan n'est pas tout à fait sans valeur, dès aujourd'hui. L'intérêt pour une langue et une culture qui proposent un ensemble de contenus articulés entre eux et articulés à une histoire et à une géographie, peut croître de manière insoupçonnée avec la lassitude que ne manquera pas de provoquer l'uniformisation mondiale des contenus culturels. Le microlocal peut être une réponse de refuge, Une Arcadie. Mais la langue occitane propose à la fois la prise en compte de ce microlocal et en outre son insertion dans une relation au monde spécifique mais partageable, complexe et ouverte sur l'ensemble de l'humanité."
"On n'est au monde que dans une langue."
COMPTE RENDU DE L'ARTICLE DE F. BERNISSAN "Combien l'occitan compte-t-il de locuteurs ?" in Revue de Linguistique romane, 2nd semestre 2012, pp. 467-512 (par Jean Lafitte)