[38] Mossé, op. cit., p. 25 sqq. Il ne faut sous-estimer ni le degré élevé de culture du clergé et des fidèles ariens (cf. Michel Meslin, Les ariens d’Occident, Paris, Seuil, 1967), ni l’accession de la langue gothique dès le 4e siècle à un niveau élevé d’écriture littéraire (literacy/ schriftlichkeit). De “patois” à “langues régionales” 0 – Avant-propos Cette étude est en grande partie la reprise d’une autre que j’ai diffusée quelque peu depuis plus de deux ans, « Le mot “patois”, histoire, étymologie, signification(s) ». Elle partait de ma réaction à un passage de l’article
PATÉS (patois), du célèbre
Tresor dóu Felibrige de Frédéric Mistral (1886) :
« Brunetto Latini, le maître de Dante, dans son livre du
Trésor, qui est écrit en français, appelle cette langue “le patois de France”. »
Dans le contexte intellectuel de l’œuvre de Mistral, c’était une façon discrète d’abaisser le français, comme pour riposter à ceux qui dépréciaient le provençal en le nommant « patois ». Au demeurant, le Languedocien Gabriel Azaïs avait été bien plus direct dans son
Dictionnaire des idiomes languedociens (1863), où il glissait en note, p. XI de l’
Introduction :
«
(1) Brunetto Latini s’exprime ainsi dans le préambule de son Trésor :
Chis liures est escris en roman selonc le patois
de France. Notre langue méridionale n’a jamais reçu une pareille appellation à cette époque. »
Il me suffit alors d’ouvrir
li Tresors de l’illustre Florentin pour constater que le mot « patois » n’y avait pas le moindre sens péjoratif (cf. § 5-2) ; cela me poussa à me documenter sur ce mot, et d’abord à relire l’article remarquable de Jean-François Courouau (2005), très prudent sur l’occurrence de
patois chez Brunetto Latini. Les moyens qu’Internet offre aujourd’hui au chercheur me permirent alors d’aller plus loin, avec en particulier l’accès à des ouvrages relativement anciens que donnent
Google, le site californien
Internet Archive et
Gallica, de la
Bibliothèque nationale de France, ce dernier éminemment précieux en l’occurrence par ses manuscrits numérisés.
Je pus ainsi m’assurer des premières attestations de
patois et suivre ses changements de signification déjà observés par J.-F. Courouau.
Or il m’est arrivé de repenser à la mention que je faisais de deux chroniqueurs byzantins des VII
ème et IX
ème s., qui avaient usé avec le même sens, respectivement de ?πιχωρ?? γλ?ττ? « langue du pays » et de πατρ?? φων? « voix paternelle ». Et de me poser la question : ces expressions n’étaient-elles pas bien plus anciennes ?
Je n’ai pas eu de mal à en trouver bien vite d’assez nombreuses attestations, dont les plus anciennes remontaient au I
er siècle avant notre ère. Et les sept premières faisaient référence au père, la référence au territoire n’apparaissant que dans la huitième, sur la fin de ce siècle ou au début du suivant, I
er de notre ère. Treize siècles avant Brunetto Latini, c’était donc en quelque sorte la préfiguration de
patois, « langue du père », avec très vite après celle de l’expression synonyme « langue régionale ».
La présente étude commence donc par cette “préhistoire”. Puis je me transporterai dans les années 1260-1320 pour décrire les deux premières occurrences de
patois telles qu’elles nous apparaissent dans les manuscrits d’époque, ainsi que le contexte social et linguistique tel qu’on peut le reconstituer, pour comprendre le mieux possible le choix de ce mot par Brunetto Latini et le sens qu’il lui donnait. Cela nous suggèrera l’étymologie la plus probable.
Mais il nous faudra quitter ces origines pour constater le sort ultérieur des idiomes de France et le sens souvent péjoratif que prit alors le mot
patois chez les auteurs, conduisant à inventer une étymologie nouvelle, bien peu convaincante au regard de toute cette histoire. La conclusion nous fera revenir sur terre, dissipant les illusions que peut susciter le passage de « patois » à « langue régionale », mais en laissant quelque espoir, pour peu que l’on s’attache à mettre en valeur ce patrimoine.
1 – “préhistoire” de patois, « langue du père », et de langue régionale 1-1 – Dès le Ier siècle avant J.-C. On ne parle guère aujourd’hui que de « langue maternelle », mais le grand latiniste et médiéviste Paul Tombeur, de l’Université Catholique de Louvain, rappelait naguère (2005, p. 148) que cette notion n’était apparue qu’au XII
e siècle : avant, « Quand les anciens parlent de ce que nous concevons comme ‘langue maternelle’, ils s’expriment comme Lucrèce ou Cicéron au premier siècle avant notre ère, en utilisant l’expression
sermo patrius. »
Effectivement, ce n’est pas en grec mais en latin que j’ai trouvé les premières attestations, et tout justement chez Lucrèce et Cicéron. Voici donc les huit premières :
–
Lucrèce, né en -94, mort en -54 ; nous lui devons les
quatre attestations les plus anciennes, de l’an
-54 au plus tard ; avec 7400 vers, son
De natura rerum (Blanchet, 1865), décrit les phénomènes naturels selon la philosophie d’Épicure. Lucrèce ne cache pas ses difficultés pour passer du grec au
patrius sermo, à la
langue paternelle (livre I, vers 832 et III, 261) en raison de sa pauvreté, même s’il pallie cette pauvreté en créant des mots nouveaux (I, 138-140) ; l’adjectif
patrius revient pour qualifier
voces (les mots, V, 338) dans lesquels il traduit le grec et devient l’adverbe
patrio quand il explique que les Romains nomment le tourbillon de feu de la foudre
Fulmen dans leur langue paternelle (VI, 296-297).
–
Cicéron, né avant, en -106, et assassiné en -43, a beaucoup écrit ; mais il n’use que d’un seul
sermo patrius, dans un ouvrage philosophique, le
De finibus publié en
-45 (Le Clerc, 1826). Au § 2 du 1
er livre, il évoque les gens qui méprisent les écrits latins et s’étonne de ceux qui, tout en prenant « plaisir à des tragédies latines traduites du grec mot pour mot, ne peuvent souffrir que l’on traite les sujets les plus graves dans le
sermo patrius »,
la langue paternelle.
–
Horace, né en -65 et mort en -8, a écrit son
Art poétique vers l’an -10 (Taillefert 1873). Pour écarter le reproche qu’on pourrait lui adresser de faire quelques innovations , il cite les précédents de « Caton et d’Ennius qui ont enrichi le
sermonem patrium [la
langue paternelle], et produit de nouveau nom de choses ».
–
Strabon, le géographe grec né en -64 et mort entre 20 et 25 de notre ère, nous a laissé une
Géographie en 17 livres (Müller, 1853), écrite
après l’an -25, et qui nous offre la première attestation en grec ; c’est au livre XI sur l’Asie mineure ; au § 3, traitant de la Bactriane (à l’est de la mer Caspienne), il mentionne d’étonnantes mœurs jadis rapportées par Onésicrite, contemporain d’Alexandre le Grand : « tous ceux d’entre eux qui, pour vieillesse ou pour maladie, s’avéraient incurables, étaient jetés vivants en proie à des chiens élevés exprès pour cela et qu’on appelait fossoyeurs τ? πατρ?? γλ?ττ?, dans la
langue paternelle… ».
–
Denys d’Halicarnasse, né vers -60 et mort après -8, est un historien grec des «
Antiqui
tés romaines » ; au livre XII § 9, il évoque des fêtes que les Romains célébraient pour invoquer les dieux en cas d’épidémies que les moyens humains ne réussissaient pas à arrêter. Le rite consistait à disposer des images de dieux sur des lits d’apparat et à placer devant eux de la nourriture ; et Denys de préciser qu’ils les appelaient τ? ?πιχωρ?? γλ?ττ? στρωμν?ς, dans la
langue du pays les lits.
Avant d’aller plus loin, quelques mots sur cet adjectif ?πιχ?ριος ; il se décompose en ?πι (sur, dans) et χ?ριος, dérivé du substantif χ?ρα dont le sens de base est « portion d’espace », soit, ici, pays, contrée, région. Pratiquement, comme qualificatif d’un idiome, son équivalent en français d’aujourd’hui ne peut être que « régional » et celui d’?πιχωρ?? γλ?ττ?, « dans la
langue régionale ».
Comme annoncé en fin d’Avant-propos, nous avons donc, en ce I
er siècle avant J.-C., sept références au
père pour une au
territoire. Mais tous ces emplois ont en commun d’être faits
en présence du grec : à la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand (-356 à -323), la langue grecque est rapidement devenue ? κοιν? δι?λεκτος, la langue commune de tout l’est méditerranéen, et même un jour la langue de culture des Romains, alors que ceux-ci avaient en quelque sorte annexé la Grèce depuis le II
ème s. : le latin,
langue paternelle des Romains, ne se parlait guère qu’en Italie, et les Romains instruits lui préféraient le grec. D’où les propos de Lucrèce, Cicéron et Horace, dont on cite souvent ces vers (
Épitres, l. II, vers 156-157) :
Græcia capta ferum victorem cepit et artes / Intulit agresti Latio.
La Grèce conquise conquit son farouche vainqueur et apporta les arts à l’inculte Latium.
Dès lors, quand un auteur faisait mention d’une langue autre que le grec, il la caractérisait par sa transmission paternelle ou la contrée où elle était en usage. Et inévitablement, elle ne pouvait concurrencer la κοιν?.
1-2 – Du Ier au VIème siècle de notre ère Au I
er siècle, le
Nouveau testament témoigne remarquablement de ce statut supérieur de la
koinè. Par sa langue d’abord : ses 14 livres sont tous écrits en grec, même l´
Épitre de St Paul aux Romains ; et l’
Évangile selon St Matthieu, vraisemblablement écrit en araméen, ne nous est parvenu que dans sa version grecque. Est aussi significative la façon dont les
Actes des Apôtres, écrits dans une bonne langue grecque
entre 80 et 90, racontent le miracle des langues le jour de Pentecôte (II, 5-11) : les Apôtres, connus comme Galiléens, parlent dans leur ?δ?? διαλ?κτ?, leur propre dialecte, et la foule de gens venus d’un peu partout les entendent « chacun dans son ?δ?? διαλ?κτ?, son propre dialecte » ; dans ce contexte, ?δ?? convient mieux que πατρ?? ou ?πιχωρ??. Mais ce qui me parait important, c’est l’énumération des peuples ou contrées des gens de la foule, pour évoquer leurs langues : il est question de « Romains de passage » (parlant latin ?), de Crétois et de plusieurs provinces d’Asie mineure, mais pas du tout de la Grèce proprement dite (Attique, Macédoine …). Ce que j’en conclus : le grec est tellement omniprésent dans le monde méditerranéen auquel s’adresse le livre sacré que l’auteur ne le mentionne pas, pas plus qu’on ne parle de l’air qu’on respire.
Au
IIème siècle, le géographe grec
Pausanias (vers 115 - vers 180) a écrit une
Description de la Grèce où l’on rencontre six occurrences de l’adjectif
?πιχωρ?ος
, dont cinq ?πιχωρ?? qualifiant φων?
(au datif instrumental) et un seul ?πιχωρ?ου qualifiant
γλ?σσης (au génitif), donc langue régionale. Comme Strabon, il désigne ainsi la langue de peuples dont il traite. Par la suite, on retrouve ces mots, ici ou là, chez des auteurs religieux, mais leur recension n’apporte rien de significatif pour cette étude. Je fais seulement exception pour un « Édit de la vraie foi » publié en juillet
551 par le célèbre empereur d’Orient Justinien. Vers la fin, il appuie ses affirmations sur ce qui est déjà admis dans des écrits publics de la région d’Arie (sud-est de la mer Caspienne) « …και? ?τ?ρων χωρ?ων τ?ς α?τ?ς ?παρχ?ας κα? μην?ς
τ? ?πιχωρ?? διαλ?κτ? Καππαδοκ?ν ?νομασμ?νου κα? Βοσπορ?ου ε?πισκ?που
… ». Je propose une traduction qui suppose que μην?ς
est un terme cappadocien désignant quelque territoire ou groupement humain, car en grec “classique” ce serait « du mois » ou « du dieu Lunus » et n’aurait rien à voir avec le contexte : « et d’autres régions de la même province et de ce qu’on nomme « mèn » dans la langue du pays des Cappadociens, et de l’évêque Bosphore… ». L’essentiel est en effet de constater la vitalité de la qualification d’un idiome par référence au territoire où il est en usage. 1-3 – Les deux chroniqueurs byzantins des VIIème et IXème siècles Justinien allait régner encore 14 ans, pour mourir en 565 à 84 ans ; régnèrent ensuite son neveu Justin, mort en 578, puis Tibère, mort en 582, et enfin Maurice I
er. Celui-ci eut à défendre l’empire contre les incursions des Huns commandés par un Chagan (Khan) ; c’est au cours d’une de ces campagnes que se produisit un incident plutôt comique dont la relation par deux vénérables chroniqueurs allait nous révéler la vitalité des vielles expressions ?πιχωρ?? γλ?ττ? et πατρ?? φων? et plus encore leur équivalence.
Le précurseur des romanistes François-Juste-Marie Raynouard (1761-1836), qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie française, est apparemment le premier à s’être intéressé aux récits de ces chroniqueurs ; pour lui, ils témoignent en effet de l’existence de ce qu’il appela la « langue romane » et où l’on voit plutôt de nos jours du « latin parlé tardif ».
Peu importe pour nous ; Raynouard a fait une si bonne présentation de l’expédition militaire et de l’incident rapporté par les chroniqueurs que je la lui emprunte, prise dans « Les preuves historiques de l’ancienneté de la langue romane », au début du tome I
er de son
Choix des poésies originales des troubadours.
« Vers la fin du VI
e siècle, Commentiolus, général de l’empereur Maurice, faisait la guerre contre Chagan, roi des Huns. L’armée de Commentiolus étant en marche pendant la nuit, tout-à-coup un mulet renversa sa charge. Le soldat à qui appartenait ce bagage était déjà très-éloigné ; ses compagnons le rappellèrent à cris réitérés : torna, torna, fratre, retorna.
« Entendant cet avis de retourner, les troupes de Commentiolus crurent être surprises par l’ennemi, et s’enfuirent en répétant tumultuairement les mêmes cris. Le bruit en parvint jusqu’à l’armée de Chagan, et elle en prit une telle épouvante, qu’aussitôt elle s’abandonna à la fuite la plus précipitée.
« Ainsi ces deux armées fuyaient en même temps, sans que l’une ni l’autre fut poursuivie. »
Et de citer les chroniqueurs, mais en nommant d’abord le plus récent. Je préfère respecter la chronologie, surtout qu’il s’agit de chroniqueurs !
Le premier est
Théophylacte, contemporain de notre roi Dagobert ; historien du règne de Maurice I
er, il aurait achevé son œuvre vers
630 ; on y lit : « …
?πιχωρ?? τε γλ?ττ? ε?ς τουπ?σω τρ?πεσθαι ?λλος ?λλ? προσ?ταττε, “?ετ?ρνα” μετ? μεγ?στου ταρ?χου φθεγγ?μενοι », soit « et dans sa
langue régionale, de se pousser l’un l’autre à faire retraite en criant “
retorna” dans une grande confusion… ».
Le second chroniqueur est
Théophane (758-818), contemporain de Charlemagne et reconnu comme saint par l’Église de Rome comme par celle d’Orient ; selon Wikipédia, il écrit, entre 810 et
815 : « εν?ς γ?ρ ζ?ου τ?ν φ?ρτον διαστρ?ψαντος, ?ταιρος το? δεσπ?του το? ζ?ου προσφωνε? τον φ?ρτον ανορθ?σας τ?
πατρ?? φων? τ?ρνα, τ?ρνα φρ?τρε… », soit « une bête de somme ayant renversé sa charge, un camarade du maitre de l’animal l’appela pour qu’il relève la charge, disant dans sa
langue paternelle torna, torna, fratre… ».
Moins de 80 ans après Justinien, Théophylacte reprend donc l’expression à référence territoriale apparue en grec chez Denys d’Halicarnasse peu avant le début de notre ère.
Plus surprenant est le recours de Théophane à la première expression grecque à référence familiale apparue chez Strabon, mais dont je n’ai trouvé aucun nouvel emploi ultérieur.
Mais ce n’était pas un archaïsme, puisqu’on la retrouve peu après en latin au chapitre XXV de la
Vita Caroli d’Eginhard écrite vers 830 : Charlemagne ne s’était pas contenté de son « patrio […] sermone », la langue franque
[1], mais avait appris d’autres idiomes. Et cinq cents ans plus tard, vers 1350, c’est du grec π?τριον γλ?σσαν qu’usait encore l’auteur d’une description de la cour de Byzance attribuée à un certain Georges Codinos ; énumérant les catégories de personnes qui acclament l’Empereur dans les grandes cérémonies, il cite les Waranges de la garde impériale qui le font « κατ? τ?ν π?τριον κα? ο?τοι γλ?σσαν α?τ?ν, ?γουν ?γκλινιστ? », soit « …dans leur langue régionale, c’est-à-dire en anglais ».
1-4 – Au terme de cette “préhistoire”, une première conclusion Le double récit de nos chroniqueurs des VII
ème et IX
ème siècles montre en tout cas l’
équivalence des deux expressions.
Et si le contexte des écrits de Lucrèce, Cicéron et Horace pouvait supposer une nuance sentimentale dans la référence paternelle de leur
patrius sermo, elle était totalement absente dans le πατρ?? γλ?ττ? des géographes et historiens grecs.
En revanche, tous ces emplois se faisant en face de la supériorité du grec chez les Latins et dans des écrits en grec chez les Grecs, cette
supériorité du grec était
toujours sous-jacente à ces emplois.
Il est temps maintenant de revenir en France.
2 – Le mot français patois apparait à l’écrit 2-1 – Une antériorité usurpée : le Tournoi de Chauvency de Jacques Bretex (après 1300) Selon le
Dictionnaire historique de la langue française du Robert, dirigé par Alain Rey (2
ème éd. 2017, t. 2, p. 1653),
patois est « attesté depuis 1285 » ; cela renvoie aux manuscrits du
Tournoi de Chauvency, poème du trouvère Jacques Bretel (ou Bretex) très bien présenté par J.-F. Courouau (p. 190) ; Bretel y relate les festivités données pendant cinq jours au début d’octobre 1285 (ou plutôt 1284 ?) à Chauvency-le-Château, proche de Montmédy (nord de l’actuel département de la Meuse). L’œuvre nous est parvenue par quatre copies d’un original perdu, dont la plus ancienne, du début du XIV
e s., est conservée à Mons (
M, ms. 330-215) ; puis Oxford (
O, Douce 308, milieu du XIV
e), Florence (Palatino 117, reprise fidèle de
M) et Reims (ms. 1007, fragments peu fiables, fin du XIV
e/début du XV
e ).
2-2 – L’antériorité réelle : le Trésor de Brunetto Latini (avant 1300) En réalité, les premiers témoins du mot
patois sont à ce jour les plus anciens manuscrits du
Trésor de
Brunetto Latini, antérieurs au plus ancien du
Tournoi. Cet homme politique et érudit toscan (Florence, v. 1220-1294), du parti des Guelfes, dut s’exiler en France après la défaite que leur infligèrent les Gibelins en 1259 ; il y demeura au moins jusqu’au retournement de situation consécutif à la victoire de Charles d’Anjou en 1266. C’est pendant cet exil français qu’il écrivit en français une sorte d’encyclopédie des connaissances de ce temps
Li livres dou Tresor.
Le mot
patois ou ses équivalents se trouvent à la fin du premier chapitre qui tient lieu d’introduction. Le voici dans son contexte, d’après le manuscrit « français 566 » de la Bibliothèque nationale (BNF), alias ms. K, antérieur à 1300, numérisé sur le site Gallica, vue n° 26 :
Et saucuns demande por quoi chis liures est escris
en romans selonc le patois de france puis que noz somes ytaliens : ie diroe que cest por .ij. raisons. l.une e[st] por ce q[ue] noz somes en france. lautre ci est par ce q[ue] fra[n]cois e[st] plus delitaubles lengages et pl[us c]omuns q[ue] m[o]lt dautres.
L’antériorité de cette attestation de
patois sur celle du
Tournoi de Chauvency est donc établie par la datation du plus ancien manuscrit. Et si l’on tient compte de la date de rédaction, c’est le même constat : 1268 au plus tard pour le
Trésor, fin 1284 au plus tôt pour
Le Tournoi.
3 – Le témoignage des manuscrits du Trésor de Brunetto Latini 3-1 – Coup d’œil d’ensemble sur les manuscrits du Trésor L’ouvrage eut un tel succès qu’on en compte encore plus de 90 manuscrits dans le monde, dont 32 à la BNF. Dix de ceux-ci, dont plusieurs des plus notables, ont fait l’objet de notices érudites de Paulin Paris (1800-1881), alors chargé des ms. de cette Bibliothèque (
Les manuscrits françois de la Bibliothèque du roi). Déjà membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et professeur au Collège de France, P. Paris fut le père du célèbre chartiste Gaston Paris (1839-1903).
En comparant ces dix manuscrits, il avait estimé, t. 4, p. 379, qu’une première rédaction du
Trésor, achevée en France en 1266, fut suivie d’une seconde à l’intention des Italiens quand Brunetto L. rentra à Florence : expurgée notamment de certains passages trop critiques à l’encontre des républiques italiennes, elle était complétée par le récit des derniers évènements en Italie, jusqu’à la bataille de Tagliacozzo du 23 août 1268.
Polycarpe Chabaille, premier éditeur du
Trésor (1863), puis l’américain Francis J. Carmody (1948) ont admis eux aussi ces deux rédactions.
Mais à ne considérer que ce que Paris et Chabaille écrivent ou laissent entendre de plusieurs ms. auxquels je me suis intéressé, leurs avis concordent mal. Il n’est donc pas étonnant que cette hypothèse ne soit plus admise, comme l’a écrit Thibaud Bouard dans sa thèse de l’École des Chartes (2007), citée et suivie sur ce point par la notice de la BNF sur le ms. M. Aussi note-t-il : « La recherche actuelle s’efforce avant tout d’identifier des familles dans cette jungle textuelle, avant d’envisager de mettre ces familles en relation. »
3-2 – Le recours aux manuscrits numérisés accessibles Cependant, alors qu’en 2005 J.-F. Courouau ne pouvait que s’en remettre aux exposés de Carmody, nous avons aujourd’hui l’immense avantage de pouvoir consulter de nombreux manuscrits sur nos écrans. J’ai donc choisi de travailler sur les
15 ms. numérisés les plus anciens de la BNF, les 5 déjà cités qu’elle date du XIII
e s. et 10, du XIV
e.
Pour un éclairage complémentaire et dans la mesure où l’édition de Chabaille permet de les reconstituer, j’y ai ajouté les versions du passage en cause dans
5 autres manuscrits de même époque, mais inaccessibles pour moi,
A, A3, F2, Œ et
W. Mais on ne peut être sûr de ces reconstitutions, car celles opérées pour d’autres ms., numérisés par ailleurs, ont révélé de nombreuses inexactitudes, dont des graves : les ms. R et V ont
patrois, mais respectivement
patois et
langage selon Chabaille, etc. Je note donc en italique ce qui les concerne (lettre, occurrences).
3-3 – Ce que j’ai pu en tirer Voici d’abord une vue d’ensemble ; les dates sont celles données par la BNF pour ses ms., complétées pour les autres ms. d’après le site
http://www.arlima.net/ad/brunetto_latini.html. Une exception : pour le ms. R, le « XIV
e s. » de la BNF, est précisé en « début XIV
e » selon P. Paris (t. V, p. 422) et le site ARLIMA.
K T Y L F A3 F2 R S P Œ A N V G I J WU M | XIIIe s. XIIIe s. XIIIe s. 1275-1300 1284 vers 1300 1303 déb. XIVe 1310 1320-1330 1300-1450 XIVe s. XIVe s. XIVe s. XIVe s. XIVe s. XIVe s. XIVe s. 1375-1400 1380-1405 | patois patois patois | patrois pratois patrois patroiz | le raison la raison la raison | langue le langhe langue langue | langage langage langage langage langage | parleure | |
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On observe que
langage compte trois attestations « par défaut », dues seulement au fait que Chabaille ne signale pas ces ms. comme s’écartant de
langage retenu pour sa publication ;
patois de F2 et
la raison de
W sont plus sûrs, puisqu’il les signale expressément comme tels… mais on a vu qu’il a lu
patois dans V qui porte pourtant
patrois.
En ne comptant que pour un mot les trois formes
patois / partois / patrois, cela fait quand même cinq mots différents pour un même concept. Sans la compétence et l’expérience d’un chartiste pour en juger, je vais simplement noter les réflexions qui me viennent à l’esprit.
On observe que
langage compte trois attestations « par défaut », dues seulement au fait que Chabaille ne signale pas ces ms. comme s’écartant de
langage retenu pour sa publication ;
patois de F2 et
la raison de
W sont plus sûrs, puisqu’il les signale expressément comme tels… mais on a vu qu’il a lu
patois dans V qui porte pourtant
patrois.
En ne comptant que pour un mot les trois formes
patois / partois / patrois, cela fait quand même cinq mots différents pour un même concept. Sans la compétence et l’expérience d’un chartiste pour en juger, je vais simplement noter les réflexions qui me viennent à l’esprit.
4 – pat(r)ois dans la France du XIIIe siècle, puis dans le Trésor 4-1 – pat(r)ois, un mot peu répandu à l’époque Selon Godefroy, de ces cinq mots en présence, même
raison avait alors « langage » parmi ses acceptions, a fortiori
langue, langage et
parleure (prononcé
parlure).
Mais
patois était un “nouveau venu”, d’emploi tellement rare qu’en dehors de nos deux auteurs de la fin du XIII
e s., « Si le mot continue à exister, nous ignorons tout de son emploi du début du XIV
e jusque vers le milieu du XV
e siècle. » (J.-F. Courouau, p. 193). Il faudra même attendre le XIX
e s. pour rencontrer son correspondant
patés dans des écrits du domaine d’oc.
4-2 – Quid de la dualité patois / patrois ? L’étymologie de
patois à partir de ‘patriensis’ (sermo) proposée par Ménage en 1694 (§ 6-2) suppose
patrois comme première forme, devenue ensuite
patois.
Quant à
pratois, il est dans le ms. N, probablement copié à Florence (P. Paris, p. 402) ; ce pourrait être une rectification irraisonnée de
patrois par le copiste, familier du mot
pratese, nom des habitants de Prato, petite ville voisine de Florence…
Trois occurrences de
patrois et même ce
pratois fautif témoignent donc très vraisemblablement de
patrois comme première forme du mot
patois.
4-3 – L’intervention des copistes On a remarqué que les copistes sérieux s’attachaient à écrire un texte compréhensible par ceux pour qui ils écrivaient et n’hésitaient pas à « corriger » ce qu’ils jugeaient mal écrit sur leur modèle, ne serait-ce que parce qu’ils ne le comprenaient pas eux-mêmes. Il est donc tout à fait vraisemblable que butant sur
pat(
r)
ois nouveau venu, voire inconnu pour lui, le copiste le remplace par le mot connu qui lui semble avoir le même sens ; à l’inverse, le remplacement d’un mot connu par un mot rare et peu connu est bien peu concevable. La pure logique rend très plausible le choix originel de
pat(
r)
ois par Brunetto L. lui-même.
Par ailleurs, un détail en deux occurrences, vu au § 3-3, semble encore renforcer la probabilité du remplacement par le copiste de
pat(
r)
ois choisi par Brunetto L. : on a l’article
le devant
raison (ms. T, avant 1300) et devant
langhe (ms. S, 1310).
Comme me l’a aimablement suggéré Jean-Michel Eloy, professeur à l’Université de Picardie, ce
le pourrait être déjà la forme de l’article défini féminin que l’on observe en picard moderne. Nous n’avons certes aucune mention du rattachement de ces ms. S et T à la Picardie ; mais P. Chabaille signale le ms. L comme étant en « Dialecte picard » et P. Paris relève que le P a été copié par un chanoine de Valenciennes. Que nous en dit leur contenu ?
Un sondage dans les ms. S et T ne révèle aucun autre
le dans le T, tandis que
le concurrence nettement
la dans le S et
cose y est picard, opposé à
chose français, attesté dans T. Dans les ms. L et P, on peut voir des traits picards dans les
ch et les
ou (
nous, roumans…) ; mais dans la colonne du L où on lit
la raison, les six autres mots féminins n’ont que des
la ; et dans celle du P où se trouve
le patois, on n’a que des
la devant les quatre autres mots féminins. Donc même si
le langhe du ms. S pourrait être dû à une influence picarde, il faut trouver une autre explication pour
le raison du ms. T.
Ce
le ne serait-il donc pas celui de
le patois que le copiste aurait écrit avant de buter sur
patois ? d’après le sens qu’il devine, il va écrire
raison, peut-être aidé par la ressemblance dans une source moins nette que l’image ci-contre ; mais il va oublier de changer l’article
le en
la, tandis que ceux qui le suivront (ms. L et W) le corrigeront.
Enfin, si l’auteur a choisi la forme
patois, on peut imaginer qu’un copiste, de tempérament conservateur, lui ait substitué
patrois, tout comme P. Paris usait jusqu’en 1848 de
françois dans le titre de ses tomes sur
Les manuscrits françois…, alors qu’en dehors de quelques rééditions, cette forme avait semble-t-il totalement fait place à
français dans les titres d’après 1815.
4-4 – Probabilité du choix du mot pat(r)ois par Brunetto Latini L’ancienneté du ms. K, le premier qui ait
patois, concorde avec la vraisemblance de ce choix. De plus, ce ms. est tout à fait singulier parmi les 20 ms. que j’ai étudiés (§ 3-2). Le voici comparé à une version type à laquelle les 19 autres se conforment à peu de chose près :
Manuscrit K Et saucuns demande por quoi chis liures est escris en romans selonc le patois de france puis que noz somes ytaliens : ie diroe que cest por .ij. raisons. l.une est por ce que noz somes en france. lautre ci est par ce que francois est plus delitaubles lengages et plus comuns que molt dautres. On constate : demande au présent ; seconde raison du choix du français : « lautre ci est par ce q[ue] francois e[st] plus delitaubles lengages ». | Type des 19 autres manuscrits Et se aucuns demandoit por quoi cest liure est escris en romans selonc le patois (1 +1) / patrois (3) / pratois (1) / la raison (2+ 1) / la langue (4) / le langage (2+3) / la parleure (1) de france puis que nos somes ytaliens ie diroie que ce est por .ij. raisons. lune que nous sommes en france lautre por ce que la parleure est plus delitable et plus comune a tous langages. On constate : demandoit à l’imparfait ; ci est et lengages sont omis ; francois est remplacé par parleure (16 ms.), palleure (S), parole (W), parlure (U). |
Il ne serait donc pas surprenant que ce ms. K soit le plus proche de l’original de Brunetto Latini.
4-5 – Comment Brunetto Latini a-t-il fait ce choix ? Si
patois était alors peu connu dans le royaume, le fait est qu’en Lorraine, il arrive naturellement sous la plume de J. Bretex ; peut-être était-il aussi en usage en Artois, puisque, d’après le peu que l’on sait de lui, le poète devait être originaire d’Arras ou ses environs. Cette localisation nordique est confirmée par J.-F. Courouau au terme de son étude fouillée des occurrences de
patois dans 45 écrits littéraires du XIII
e au XVII
e s. : « Aussi peut-on formuler l’hypothèse que, après une période de désactivation prolongée (à l’écrit),
le patois est remployé à compter des années 1400-1450, exclusivement à l’origine […]
dans l’aire picarde […] et dans le milieu scripto-curial bourguignon… ». (p. 219).
Or selon les historiens, le fin lettré qu’était Brunetto L. aurait notamment séjourné à Arras pendant son exil français ; on peut donc imaginer qu’y ayant rencontré le mot et sa signification (cf. § 5-1), il ait pris plaisir à en user. Cela n’aurait rien de surprenant de la part d’un auteur qui a introduit le mot
prose en français, par adaptation du latin
prosa.
5 – La signification de patois entre 1260 et 1290 5-1 – Dans le Tournoi de Chauvency de Jacques Bretex Le poème ayant été publié pour la première fois en 1835, François Raynouard en rendit compte aussitôt dans le
Journal des Savants (1835). Il rappelle ce qu’étaient les tournois, présente le poème, puis écrit ceci (p. 623) :
« A l’égard de la langue de l’époque, je remarque que Bretex parle ainsi de l’étranger :
Lors dit en son tyois romant…
Lors commence à croler la teste
Et repondit faistivement :
Saurai-je bien parler romant ? (Pag. 23 et 24.)
« On lit ailleurs :
Ausiment crie come beste
Li hiraus en son faus patois. (P. 43.)
« Ces passages prouvent qu’
au xiiie siècle, les trouvères distinguaient divers dialectes dans leur langue. »
Alors que depuis près de deux siècles (cf. § 6-5) les dictionnaires donnaient au mot « patois » un sens nettement péjoratif, il est tout à fait remarquable que ce grand “spécialiste” de ce qu’on nommera bientôt les « langues romanes » n’y voit, à la fin du XIIIe siècle, qu’un synonyme de « dialecte ».
Certes, par le mot faus (plus sûr que fol du ms. O), le trouvère ne semblait pas tenir en haute estime le patois du héraut ; mais Raynouard ne s’y arrête pas, et l’on peut supposer que si le poète qualifiait ainsi ce langage, c’est qu’à lui seul le mot patois ne suffisait pas pour exprimer son sentiment.
J.-F. Courouau, qui croit à l’antériorité du
patois de Bretex et semble ignorer l’avis de Raynouard, rejoint cet avis, après une étude attentive du traitement par Bretex des divers parlers entendus à Chauvency :
« Pour cette première attestation, le sens, en accord avec le traitement du fait linguistique différencié dans l’économie de l’œuvre, est-il donc absolument péjoratif ? On ne peut l’affirmer avec une absolue certitude, … » (p. 191).
C’est même la certitude du contraire que nous allons avoir de suite.
5-2 – Dans le Trésor de Brunetto Latini Il importe d’abord de ne pas faire une fixation sur le mot
patois dans le
Trésor, car selon son auteur, il est écrit en «
romans » ; mais comme l’a observé Raynouard, on a bien conscience à cette époque que ce mot couvre une grande variété d’idiomes, d’où la précision apportée aussitôt : il s’agit de la variété de roman en usage en « France » ;
patois ne peut donc signifier que «
variété linguistique propre à un territoire donnée ».
Mais quelle est cette « France » ? on se doute que ce n’est pas notre “hexagone” familier. Effectivement, au chapitre dans lequel Brunetto L. décrit l’Europe, l’alinéa sur la France la divise en deux blocs, la Bourgogne, qui va jusqu’aux archevêchés de Vienne et d’Embrun, et ce qu’il appelle « la droite France », donc la France proprement dite. Mais celle-ci ne s’identifie pas au domaine d’oïl, car elle inclut les Flandres, de parler germanique, la « petite Bretaigne » de parler celtique et les terres de la Gironde au Puy-en-Velay, qui sont du domaine d’oc. En revanche, l’alinéa suivant en énumère séparément la Provence (de l’archidiocèse d’Arles et Aix), la Gascogne et l’actuel Languedoc; mais faute de nom propre, celui-ci n’est désigné que comme archevêché de Narbonne, avec la précision qu’il comprend la « contrée de Tolouse et Monpeslier ».
Quant au sens même de
patois, J.-F. Courouau s’engage sur une mauvaise piste du fait qu’il use de l’édition de Carmody basée sur le ms. T avec «
le raison de France », formule relativement rare comme on l’a vu au § 3-3 ; d’où, p. 192 :
« Mais on lit dans certains manuscrits, dont le plus ancien date de la fin du XIII
e siècle, la variante “selon la langue de France” et dans d’autres, remontant au plus tôt à 1303-1304, “selon le patois de France
”, avec une variante
patrois, relevée par Ménage
(32). »
« (32) Cette variante
patrois n’est pas signalée par l’éditeur qui n’a pas eu accès à tous les manuscrits (éd. Carmody 1948 XLVI, n. 1) »
Avant de poursuivre, il me parait nécessaire de rectifier une erreur dont l’origine semble chez Friedrich Diez (1861, p. 384) : Ménage ne mentionne que
patois et le premier auteur que je connaisse pour avoir lu
patrois chez Brunetto L. est La Monnoye, avant 1728 (cf. § 5-2).
Je reviens à J.-F. Courouau ; il commence ainsi sa recherche du sens : « L’interprétation de ce court passage est délicate. » Mais au terme d’un long alinéa où il confronte les avis d’auteurs du seul XX
e s., il baisse les bras fort sagement :
« Inférer un éventuel « sens neutre » (Thomas, Jodogne, Orr) ou péjoratif (éventuellement en référence à la hiérarchie latin/vernaculaires, mais le texte n’en dit rien) relève de la spéculation et, dans l’ignorance où nous sommes des conditions d’écriture (quel scribe ? où ? pourquoi ?), la prudence commande de suspendre le jugement en attendant que la science des textes réexamine le stemma des mss, afin de savoir s’il est absolument exclu que le mot vienne de Brunet, si ces manuscrits qui contiennent
patois sont apparentés et d’où ils dérivent. »
Dix ans plus tard, j’ose penser que l’examen des manuscrits m’a permis de lever les doutes sur l’initiative de l’emploi de patois, et que débarrassés de tout préjugé sur un sens péjoratif qui n’est apparu que bien plus tard, nous pouvons nous en remettre au contexte de ce mot, dont nul ne songe à contester la paternité de Brunetto Latini. Et ce contexte exclut toute valeur péjorative de ce mot. P. Paris l’avait parfaitement compris et l’a si bien écrit (t. 4, p. 357) :
« Il n’y a pas, et l’on ne sauroit désirer de témoignage plus honorable que celui-ci pour la langue Françoise du xiii
e siècle. Brunetto Latini, Florentin versé dans la littérature du midi de la France, déclare, vers 1260, que le dialecte françois du nord, le plus délectable des dialectes romans, est d’ailleurs plus usité que la plupart des autres. Cette déclaration est pour notre littérature nationale un titre d’antériorité auquel les autres littératures néo-latines ne sauroient opposer rien de comparable. »
6 – De la signification première de patois à son étymologie 6-1 – patois, langue du père, puis langue du pays La “préhistoire” de notre
patois nous a familiarisés avec le πατρ?? (γλ?ττ?) des Grecs et le
patrius (
sermo) des Latins et à l’équivalence pratique entre la référence familiale dans ces qualificatifs et la référence territoriale dans le grec
?πιχωρ?ος. Et pour nos ancêtres lettrés du XIII
e s., qui pratiquaient couramment le latin, la forme « patrois » ne pouvait manquer d’évoquer le « père » : langue du père, du pays du père, de la patrie… « patois » désignait donc l’idiome d’un territoire plus ou moins étendu.
6-2 – 1694 : patois viendrait du latin patriensis, « du père » L’abbé et grammairien célèbre Gilles Ménage (1613-1692) semble le premier à avoir proposé l’étymologie de
patois (1694, p. 563) : « PATOIS. C’est proprement
sermo patrius. Patrius, patriensis, patrensis, patensis, patese, patois : comme
Milanois de
Milanese. »
Le passage du latin
-ensis au français
-ois est tout à fait banal, et appuie solidement la remontée de
patrois à
patrensis :
turonensis (de Tours) donne
tournois (qualificatif de la livre, unité monétaire du royaume de 1203 à 1795),
Atrebatensis, Artois, burgensis, bourgeois, etc. Mais si
patriensis est attesté, l’étape
patrensis ne l’est pas, et l’on mettra du temps à découvrir l’étape
patrois.
Pour moi, sa première mention est dans une nouvelle édition de la « Bibliothèque de La Croix du Maine » ; c’était « un catalogue général de toutes sortes d’autheurs qui ont escrit en françois » depuis le XI
e s. et que son auteur, François Grudé sieur de La Croix du Maine (1552-1592) avait publié en 1584. La nouvelle édition avait été préparée par le critique et académicien Bernard de la Monnoye (1641-1728), mais ne fut publiée qu’en
1772; p. 93, La Monnoye corrige et complète par une très longue note le court article que La Croix du Maine avait consacré à « Brunet Latin » (éd. 1584, p. 37) ; il cite notre passage de Brunetto L. d’après le ms. K (
patois de France) et ajoute : « Les divers manuscrits qui se trouvent de ce livre ne sont pas uniformes dans l’expression, mais ils le sont pour le sens, & s’accordent tous à marquer que l’ouvrage est dans la
pallure, parleure, patrois, ou patois de France. ». Avant 1728, La Monnoye serait donc le premier à avoir signalé la forme
patrois, mais sans plus.
De fait, en
1841, dans un article sur un texte de Térence, l’érudit Éloi Jouhanneau, secrétaire perpétuel de l’
Académie celtique depuis sa création en 1804, avait glissé la prise en compte de ce
patrois dans la filière étymologique : « langue rustique du pays, de la patrie, en patois,
sermone patrio, patriensi, comme le prouve l’étymologie même du mot
patois, pour
patrois, qui vient du mot
patriensis (1841, p. 233).
En
1856, cette même étymologie passant par
patrois avait été reprise par le romaniste et médiéviste Henri Victor Michelant (1811-1890), qui s’était explicitement référé au
Trésor de Brunetto Latini dont il avait consulté dix-neuf manuscrits et en avait cité le passage complet (Compte rendu de
La Farce de Maistre Patelin, [éditée] par F. Génin,
Revue de Paris, t. XXX, 1
er février 1856, pp. 78-87).
Sans s’en expliquer, l’abbé Léonce Couture, romaniste gascon trop oublié, avait affiché la même étymologie dans une et chaleureuse longue présentation de Mistral et de
Mireio parue en juin
1859 dans la
Revue d’Aquitaine (t. IV, p. 37) :
« Ne lui reprochez pas trop d’amour pour sa langue ; il en parle en connaissance de cause ; qu’il ne s’irrite pourtant pas trop contre ceux qui continueront à la traiter de patois :
patois ne veut pas dire proprement jargon, mais
sermo patriensis, le langage courant du pays, de la mère et de la nourrice, par opposition à celui des académies et des livres. »
Donc depuis au moins 1841, la chaine
patriensis > *patrensis > patrois > patois était proposée ; elle devait être entérinée par Diez en 1861 (cf. § 4-2), puis reprise par le dictionnaire d’Adolphe Mazure et surtout celui bien plus connu d’
Émile Littré,
Dictionnaire de la langue française ; après un court exposé des avis anciens depuis Ménage, Littré concluait : « Tout cela emporte la balance ; et il faut admettre que l’
r a disparu. »
Mais en 1895, le
Dictionnaire général de la langue française de Hatzfeld, Darmesteter et Antoine Thomas (t. 2, p. 1695) renonce à indiquer une étymologie : « Origine inconnue ».
De telles palinodies devraient disparaitre du fait de la reconnaissance de la continuité de formes et de sens depuis le
sermo patrius de Lucrèce il y a plus de 2000 ans.
7 - Le patois, langue du pays, devient la langue des paysans 7-1 – Le canon 17 du Concile de Tours en 813 De « pays » à « paysan », le passage est facile ; mais ce n’est pas un simple jeu de mots : le premier témoin historique est le canon 17 du Concile tenu à Tours en mai 813. Soucieux du bon fonctionnement de l’Église, Charlemagne avait en effet convoqué cinq “conciles” régionaux, — nous dirions aujourd’hui “synodes” — à Mayence, Tours, Reims, Chalon(-sur-Saône) et Arles. Tous avaient rappelé et précisé les obligations du clergé en matière d’enseignement des fidèles et spécialement de prédication.
Or on sait que conseillé par Alcuin, Charlemagne avait précédemment appuyé une réforme du latin de l’écrit public — et donc des élites — pour revenir à ce qu’il était quelque 500 ans avant et dont témoignaient les textes bibliques et les écrits des Pères de l’Église. Et voilà qu’à Tours, constatant que ce latin réformé n’était pas compris par la masse des gens sans instruction, des campagnards pour la plupart, les évêques décidèrent que, dans leurs diocèses, la prédication se ferait en «
rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur », dans la « langue rurale romaine ou dans la langue tudesque (germanique), afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit ».
De cette formule, je retiens le mot « rusticam », qui ne veut en aucune manière déprécier un « parler rustre », ou même simplement « rustique », mais qui localise
dans les campagnes cet idiome « romain », donc apporté 850 ans plus tôt par les conquérants romains, un
latin parlé évolué. Cela suppose que dans les villes où sont nombreux les personnages instruits détenteurs du savoir et du pouvoir, la population comprend suffisamment leur latin châtié.
En revanche, rien de semblable à Chalon-sur-Saône ; et même à Arles, on ordonne de prêcher « non seulement dans les villes, mais aussi dans toutes les paroisses », c’est-à-dire « … dans toutes les églises de campagne », ce qui suppose entre ville et campagne une unité de langue qui n’existait plus dans le nord. Cela témoignait déjà de ce que les parlers du sud étaient restés plus proches du latin originel, comme on n’a cessé de le souligner depuis.
Néanmoins, le souci évangélique allait conduire des clercs à composer des poésies dans la langue courante du peuple : dans le nord,
Séquence de Ste Eulalie, en « proto-picard » à la fin du IX
e s.,
Vie de St Alexis au XI
e s. ; dans le sud, le
Boecis à la fin du X
e s., la
Canson de Ste Fe d’Agen au XI
e, etc. L’expérience acquise par ces clercs dans l’écriture du latin leur servit pour celle des parlers romans.
7-2 – Le « romain rural » à la conquête du pouvoir (XIIe-XIIIe s.) Mais du fait que le latin était non seulement la langue des savants, mais aussi celle du pouvoir et du droit, les clercs avaient un monopole de fait et une prépondérance sociale qui faisait des jaloux, et particulièrement chez les laïcs des classes sociales supérieures. Avec le temps, sous leur influence, les parlers romans, dont tout le monde usait, devinrent à leur tour la langue du pouvoir et du droit, en remplacement progressif du latin.
Le roman de l’Ile de France s’imposa finalement au nord sous le nom de
françois, ce dont témoigne le choix de Brunetto Latini, en même temps que l’ont prenait conscience de la variété des parlers romans du nord (cf. § 4-1)
Le sud écrivit aussi ses propres parlers romans, mais sans pouvoir central pour en promouvoir un. Tout au plus, au début du XIII
e s., la Croisade contre les Albigeois donna-t-elle aux gens du nord l’occasion d’appeler globalement « langue d’oc » les idiomes romans du sud. Mais comme au nord, la conscience de leur variété se manifestait sur la fin de ce siècle, quand dans ses
Regles de trobar, le bénédictin catalan Jofre de Foixà opposait au
proençal, langue littéraire, le
catalanesch, langue d’usage courant de ses compatriotes pour lesquels il écrivait. Et en 1313, un notaire gascon nommait «
gascon » la langue de l’acte qu’il rédigeait, témoignant déjà de l’usage oral du mot. En revanche, les lettrés toulousains de 1356 n’avaient que « romans » pour nommer leur langue (J. Anglade, pp. 9 et 37) et en 1407, pour nommer celle d’Arles encore bien proche de celle de Toulouse, un notaire arlésien userait de «
lingua occitana » (P. Hildenfinger, 1900, p. 87), forme latine de l’expression « langue d’oc ».
Même si le latin restait majoritairement la langue du savoir, les idiomes vulgaires s’écrivaient donc de plus en plus, faisant oublier pendant quelque temps la dualité entre la langue écrite des villes et la langue seulement orale des campagnes. Mais dans le sud, cela n’allait pas durer.
7-3 – Le français du roi se répand dans tout le royaume (XIVe-XVe s.) À partir de 1337, un conflit larvé entre le roi d’Angleterre Édouard III, petit fils de Philippe-le-Bel par sa mère, et le roi de France Philippe VI, neveu de ce roi par son père, se mue en guerre ouverte qui durera jusqu’en 1453, et sera appelée plus tard la « guerre de Cent ans ». On parle alors français à la cour de Londres comme à Paris, mais la naissance d’un sentiment national français pousse la noblesse, et aussi la bourgeoisie des villes, de plus en plus puissante, à jouer la carte du royaume, et à adopter partout le français du roi.
Ainsi, vers 1325, alors que la Bretagne est un duché quasi indépendant qui ne sera réuni à la couronne qu’en 1532, ses élites rédigent en français la
Très ancienne coutume de Bretagne.
Vers la fin du même siècle, seigneur d’un Béarn dont il avait proclamé l’indépendance en 1347, Gaston Fébus († 1391) écrit en français son
Livre de chasse et 34 des 37 pièces de son
Livre des oraisons, les 3 autres étant en latin. D’ailleurs, à la fin de 1388, le célèbre chroniqueur Jean Froissart séjournant à Orthez était reçu par Fébus et lisait à la veillée, pour ce prince et ses proches, un long poème en français qu’il avait apporté : il ne mentionne aucun interprète et Fébus et ses amis le commentaient, évidemment en français (J.A.C. Buchon, p. 399).
Au même moment, en 1384, les comptables municipaux de Toulouse écrivent spontanément leurs comptes en français, et cela se reproduira sporadiquement par la suite.
Dans le registre municipal de Montpellier dit
Petit Thalamus, qui relate notamment les grands évènements ayant affecté la ville, la chronique en
romans s’arrête en février 1447, tandis qu’une chronique en français reprend au 14 aout 1495. Mais à la date du dimanche 31 janvier 1417 (nouveau style), la chronique romane mentionnait déjà la lecture en chaire après le sermon, «
en lati e pueys en frances en alta vos, en presencia de totz », d’une bulle du défunt pape Urbain V condamnant ceux qui porteraient les armes contre le royaume de France (éd. 1840, pp. 464-465). C’est la seule mention d’une langue quelconque (
latin, romans, frances) que l’on trouve dans les textes latins ou romans du
Petit Thalamus, et elle suppose que la plupart des bourgeois de la ville comprenaient alors le français.
Plus généralement, les provinces du midi adoptèrent progressivement le français comme langue administrative, de telle sorte qu’Auguste Brun a pu écrire dans sa thèse (1923, 422) que lorsque l’article 111 de l’
Ordonnance sur le fait de justice d’aout 1539 imposa le français dans les actes de l’administration, il ne fit que consacrer un changement déjà largement entré dans la pratique.
7-4 – Les autres idiomes des pays, les patois, se conservent dans les campagnes De ce fait, partout où le français n’était pas la langue courante de l’ensemble de la population, on était revenu à la situation constatée à Tours en 813, sauf que le français remplaçait le latin comme langue commune et supérieure, les gens des campagnes, peu instruits, conservant par inertie leurs parlers ancestraux… qui ne s’écrivaient pas.
Le Béarn semblait cependant faire exception : il conserva le gascon (nommé « béarnais » au moins depuis 1533) comme langue de l’administration et de la justice jusqu’en 1620 et langue du droit jusqu’en 1789. Mais ce n’était qu’une apparence, car les classes supérieures pratiquaient largement le français, et l’on ne peut oublier que Marguerite de Navarre, sœur de François I
er, a un nom dans les lettres françaises ; et sa fille Jeanne d’Albret parlait surtout français.
Le calvinisme venu de France et de Genève se propagea donc facilement dans les classes aisées, tandis que le peuple des campagnes résistait à cette nouvelle évangélisation. Tardivement, en 1568, Jeanne d’Albret (1528-1572) commanda donc au pasteur Arnaud de Salette (1540-après 1583) une traduction des psaumes en béarnais. Or il est éclairant de noter que dans sa dédicace en béarnais adressée au roi (Henri III de Navarre, fils de Jeanne, et notre futur Henri IV de France), Salette estime que « ce que le français exprime avec élégance, nous, nous le représentons [en béarnais] de façon
grossière » (vers 61-62, traduits dans l’édition de 2010, pp. 102-103) ; et d’ajouter que son intention, selon ce que lui avait commandé la reine, est « d’aider les
grossiers de notre nation à connaitre et à louer la majesté divine » (v. 64-65). N’est-ce pas reconnaitre le statut inférieur du béarnais, comme celui du petit peuple qui n’a que lui pour langue ? Pour plus de détails, voir Nicolas Kalinine-Bourtoule (1984, p. 140).
Pierre de Marca (1594-1662) fut notamment le premier président du Parlement de Navarre institué en 1620, et donc chargé d’appliquer l’Édit d’union qui rendait obligatoire l’emploi du français en justice ; on n’a aucune trace de difficultés due à une méconnaissance du français par les gens de justice. Qui plus est, dans l’œuvre magistrale en français qu’il a laissée, la première
Histoire de Béarn (Paris : Camusat, 1640), Marca présente toujours le « langage Bearnois » des actes qu’il cite comme une langue du passé.
Ce sont tous ces parlers des campagnes que des écrivains vont alors nommer « patois ». Par exemple chez Florimond de Raemond (1595, p. 215) décrivant la coutume des mariages chez les paysans de Xaintonge, avec des « chansons en leur patois ».
7-5 – patois prend un sens péjoratif (XVIIe-XVIIIe s.) [2] Néanmoins, quand en 1539, l’imprimeur et érudit Robert Estienne (1503 ?-1559) tente le premier un inventaire des mots français dans son
Dictionaire françois latin, on y trouve, p. 361,
Patin, Patrie, Patron etc., mais ni
Patois ni
Patrois ; et en 1606, l’expression
langue d’oc est si bien oubliée que le Nîmois
Jean Nicot père du premier dictionnaire français le
Thresor de la langue françoyse, l’ignore totalement.
Ceux qui possèdent le français le doivent le plus souvent à des études qui ont pesé sur leur jeunesse ; ils en font un titre de supériorité… et le mépris, peu charitable mais si humain, s’insinue vite dans le concept de « patois ». Aussi, dès l’introduction de ce mot dans les dictionnaires, sa définition fera toujours référence aux paysans, et sera accompagnée de quelque mention dépréciative ; ainsi, chez Antoine Oudin (1656, p. 309) : « Patois, i.
langage de paysan, ou du vulgaire. parler son Patois, i.
son langage maternel, & grossier. »
Pierre Richelet (1680, 2
nde partie, p. 136) renchérit : « † Patois,
s. m. Sorte de langage
grossier d’un lieu particulier & qui est diférent de celui dont parlent les honnêtes gens. [Les Provinciaux qui aiment la langue viennent à Paris pour se défaire de leur
patois. Il parle encore le patois de son village. Parler patois.] » Et l’auteur a précisé en tête de l’ouvrage : « La croix † qui est vis à vis du mot, ou de la façon de parler veut dire que le mot ou de la façon de parler n’ont proprement leur usage que dans le stile simple, dans le comique, le burlesque, ou le satirique. »
De même, chez Antoine Furetière (1690, p. 71) : « PATOIS. s. m. Langage corrompu & grossier, tel que celuy du menu peuple, des paysans, & des enfans qui ne sçavent pas encore bien prononcer. […] ».
L’
Académie française suit dans la 1
ère édition de son
Dictionnaire,
1694, p. 200 : « PATOIS. s. m. Langage
rustique,
grossier comme est celuy d’
un païsan, ou du
bas peuple.
Je n’entends point son patois. il parle un franc patois. il me dit en son patois que… » À des détails orthographiques près, c’est reconduit jusqu’à la 4
ème édition de 1762 ; par la suite, la rédaction peut changer, pas le fond.
En 1778, un Normand, l’abbé Étienne Calvel, qui est connu comme agronome, est primé par l’
Académie des Jeux floraux de Toulouse pour son éloge de Guy Du Faur, seigneur de Pibrac (1529-1584), qui s’illustra notamment comme magistrat du Parlement de cette ville. Dans cet
Éloge de Gui du Faur de Pibrac (Paris : Mérigot, 1778, 68 p.), une note relative à la ville de Toulouse évoque l’
Académie des Jeux floraux (pp. 50-51) ; et rappelant que les œuvres primées jadis étaient en «
Lenguo moundino », Calvel observe : « Insensiblement, l’habitude & la nécessité de s’exprimer en François, l’a avilie, à un tel point, que la langue des anciens Poëtes, connus sous le nom de Troubadours,
n’est plus que le vil jargon de la populace. » Autrement dit, un
patois…
7-6 – Paradoxalement, le sens péjoratif disparait à la Révolution Les défenseurs des langues régionales ont souvent dénoncé l’action des Révolutionnaires contre les patois. Mais bien peu sans doute ont lu les textes d’époque : ce n’est pas par totalitarisme français que l’on voulait écarter les patois, mais parce que l’ignorance du français écartait trop de citoyens de la vie de la nation.
Alors que l’Académie française n’était plus qu’une « classe » de l’
Institut de France créé en 1795, elle va produire en
1798 la 5
ème édition de son
Dictionnaire ; revenant au
patois de Brunetto Latini, 500 ans avant, l’article de la p. 247 du t. 2 ne mentionne plus le sens péjoratif, mais (ré)introduit la notion de particularisme géographique : « PATOIS. s. m. On appelle ainsi Le langage du peuple et des paysans,
particulier à chaque Province.
Parler patois. etc. (inchangé). »
La 6
ème éd., 1835, t. 2, p. 369 souligne ce trait : « PATOIS. s. m. Le langage du peuple et des paysans, particulier à chaque province. Chaque province a son patois. Le patois bourguignon, picard, normand, champenois, gascon, provençal, etc.
Parler patois. etc. (inchangé). »
Un siècle plus tard, la 8
ème édition, 1932-5, t. 2, p. 307 descend bien plus bas dans le particularisme géographique : « PATOIS. n. m. Variété d’un dialecte, idiome propre à une
localité rurale ou à un groupe de localités rurales. Le patois des environs d’Arras. Les patois picards. Parler patois. Je n’entends pas son patois. […] »
Le
Petit Larousse illustré de 1906, comme probablement la 1
ère édition de 1905, était dans la même ligne, avec même l’étymologie classique : «
PATOIS (
toi) n. m. (du bas lat.
patriensis, du pays paternel). Idiome populaire propre à une province :
Jasmin a écrit ses vers en patois gascon. Façon particulière de s’énoncer, et, surtout, langage bizarre ou incorrect :
le patois des Précieuses. » L’article était encore le même en 1952.
8 – Quand le sens péjoratif de patois fait inventer une nouvelle étymologie Aujourd’hui, la 9
ème édition du Dictionnaire de l’Académie,
1992-…, en cours de rédaction, n’innove pas : toujours pas de sens péjoratif et territorialité réduite de l’idiome. Mais bizarrement, elle donne en tête une étymologie fondée sur la valeur la plus péjorative du mot :
« PATOIS. n. m. XIII
e siècle. Déverbal de l’ancien français
patoier, « gesticuler », lui-même dérivé de
patte. Variété d’un dialecte qui n’est parlée que dans une contrée de faible étendue,
le plus souvent rurale.
Parler le patois, parler patois. Le patois berrichon. Le dialecte picard comprend plusieurs patois. Adjt. Qui présente les caractères d’un parler local (se rencontre parfois au féminin).
Les variantes patoises d’un mot. • Par ext. Péj. Langage pauvre et
rustique, jargon incompréhensible.
Il s’exprimait dans un incroyable patois. C’est du patois ! »
Plus disert, le
Centre national de ressources textuelles et lexicales (C.N.R.T.L.), organe du CNRS, attribue cette étymologie à l’Écossais John Orr (1885-1966), éminent romaniste qui enseigna surtout en Australie. Prudent, cependant, le C.N.R.T.L. expose sa thèse en style indirect et au conditionnel : « Selon John Orr […]
patois […] serait un déverbal […] aurait d’abord, selon J. Orr, signifié “gesticulation”… ».
De fait, c’est
une construction en chambre : elle se fonde sur une gesticulation accompagnant la parole qui n’est absolument pas une caractéristique de ces idiomes, ignore tout le passé que j’ai pu rapporter plus haut et ne s’appuie sur aucune occurrence ancienne. C’est beaucoup pour une hypothèse « scientifique » ! Aussi, dès sa publication en 1963, elle fut fermement critiquée par Omer Jodogne (1908-1996), alors professeur à l’Université catholique de Louvain.
9 – Synthèse et conclusion 9-1 – Aux origines du concept de « langue du père », puis « …du pays » La “préhistoire” du
patois se trouve, pour l’Occident européen, dans l’émergence, à partir de la fin du IV
ème siècle avant notre ère, d’une langue commune à de nombreux peuples, la κοιν? (δι?λεκτος) grecque. Pour désigner les autres idiomes dont usaient les peuples de son domaine, les lettrés qui l’utilisaient ont inventé un concept nouveau, celui de
langue paternelle, par allusion à leur mode de transmission, essentiellement orale, ou de
langue régionale, par référence à leur domaine d’emploi. Et inévitablement, ces idiomes, peu ou pas écrits, étaient jugés inférieurs à la langue commune.
Le latin de Lucrèce, Cicéron et Horace n’échappait pas à cette dépréciation. Mais de même que la κοιν? grecque était une conséquence des conquêtes d’Alexandre le Grand, de même son remplacement par le latin dans l’Europe occidentale suivit l’expansion territoriale du pouvoir de Rome. Et l’Église chrétienne, reconnue par l’Empereur Constantin en 313, remplaça l’Empire, après sa disparition en 476, dans la promotion du latin comme langue du savoir, et par là du pouvoir ; avec pour conséquence la dépréciation des idiomes naturels dont usaient les peuples. Et les mots
patrius sermo du latin continuèrent à les désigner.
9-2 – En France, le pat(r)ois prend le relai comme langue du père et du pays Une variante en
patriensis (
sermo) puis probablement *
patrensis dut apparaître, puis passa un jour en langue vulgaire comme
patrois puis
patois, né vraisemblablement en domaine picard, et non dans un Paris méprisant les parlers provinciaux.
Le mot n’a point de sens péjoratif à l’origine, même si le devenir des idiomes en présence et la sotte suffisance des hommes lui ont souvent attaché un tel sens.
9-3 – Ce qu’était naguère un patois Sur la fin de l’Ancien régime, bien qu’il n’usât pas du mot
patois, un auteur toulousain en décrivait déjà la situation de façon particulièrement lucide. En 1782, en effet, parait
Le Miral moundi (Toulouse : Desclasssan, 1781), long poème de près de 4500 vers divisés en 21 livres. À la fois satirique et moralisateur, il est signé « Hillet », nom qu’on dit être un pseudonyme. Le «
Libre XIII » est principalement consacré à l’éloge du
moundi, langue de Toulouse ; mais les esprits supérieurs le méprisent et même le peuple l’abandonne. Hillet lui en fait le reproche, mais enferme cette langue dans les seules relations locales (p. 154) :
Le boun sen nous apren qu’acos la maternelo,
Que diben coustouzi coumo plus naturelo ;
Le Francès, le Lati, le Grec soun pes sabens,
Utilés à qui bol couneisssé aquelos gens.
Mès per bous aus qu’abets à biuré dins Toulouzo ;
Aquelo couneissenço es fort infructuouzo ;
Soit : « Le bon sens nous apprend que c’est la langue maternelle que nous devons cultiver comme la plus naturelle ; le français, le latin, le grec sont pour les savants, utiles pour qui veut connaître ces gens. Mais pour vous qui avez à vivre dans Toulouse, cette connaissance est fort inutile. »
Depuis, après avoir déserté Toulouse et les autres villes, le patois n’a plus été d’abord que l’idiome naturel de groupes sociaux peu instruit, généralement établis dans les campagnes dont l’habitat dispersé faisait obstacle à l’ouverture d’écoles d’accès facile. Son lexique contenait tous les mots nécessaires pour nommer et qualifier les objets matériels et les actions physiques, y compris tout ce qui concerne les phénomènes naturels se produisant dans le pays ; mais il était très
pauvre pour nommer les concepts abstraits, hormis les sentiments ordinaires.
Transmis oralement de génération en génération, sans intervention d’une institution scolaire quelconque, cet idiome tendait à se modifier rapidement et inégalement sur l’étendue de son domaine d’emploi.
Cantonné aux relations de la vie domestique et des métiers traditionnels,
il n’était écrit tout au plus que par et pour les ministres d’une religion afin d’en enseigner oralement les dogmes, préceptes et rites à la population qui ne comprenait pas le français.
Des lettrés, possédant bien par ailleurs le français pouvaient l’utiliser pour des œuvres presque exclusivement poétiques, mais ce n’était qu’
un jeu intellectuel en marge de la vie du peuple des « patoisants ».
9-4 – De patois à langue de pouvoir, et inversement L’exemple de Rome, puis de la France à partir du XIII
ème s., a montré que s’il est adopté par une classe sociale supérieure instruite, puissante et liée à un pouvoir dynamique, un patois / langue paternelle peut devenir langue du pouvoir et du savoir, dotée d’un système d’écriture, et enseignée dans les écoles.
Inversement, une langue de pouvoir et de savoir peut être délaissée par les classes supérieures qui, pour toutes sortes de raisons, lui en préfèrent une autre ; conservée par inertie par les couches inférieures de la population, cette langue repasse au statut de patois, perd beaucoup du vocabulaire abstrait des relations sociales, juridiques notamment, et, n’étant plus enseignée, en vient même à ne plus être écrite.
Quand à son tour la population des locuteurs abandonne un patois et cesse de le transmettre, il meurt, purement et simplement. C’est ce qui se passe depuis quelques décennies, au moins en France métropolitaine, et les patois disparaissent.
9-5 – L’enseignement peut-il faire revivre un patois abandonné ? Le 3 octobre 1909,
Jean Jaurès, dont on ne doit pas oublier qu’il était agrégé de philosophie, publie dans le quotidien toulousain
La Dépêche un article intitulé
Poésie méridionale et paysans. C’est une réflexion sur la production poétique en langues d’oc depuis la fondation du Félibrige par Mistral en 1854 : ces poètes instruits et cultivés écrivent dans la langue des paysans, mais ceux-ci les ignorent, car ce n’est pas une poésie populaire. Elle est en effet un reflet de la culture française, et ne peut être accessible au peuple que si l’école l’initie à cette culture, qui passe par la langue française. D’où cette phrase : « Quand le peuple sera assez curieux de la langue française pour que
l’instituteur puisse l’intéresser, dans notre Midi,
par des comparaisons du français au « patois », qui, ramené ainsi dans le vaste cercle de la civilisation générale,
cessera d’être un patois ; […] alors, et alors seulement, l’admirable effort de la renaissance méridionale sera préservé du naufrage. » Jaurès considère donc que le patois, transmis dans la famille en dehors de l’institution scolaire (cf. § 8-2), « cesse d’être patois » dès qu’il est enseigné.
En outre, techniquement, cet enseignement implique notamment la confection de grammaires et de dictionnaires, donc une “normalisation” sur un espace relativement étendu, et la formation de maitres spécialisés. De plus, les dictionnaires manquent naturellement de mots abstraits et de néologismes nés dans la langue ; si le patois a été jadis une langue de pouvoir et de savoir, faut-il y puiser ses mots autochtones tombés dans l’oubli ou entériner les emprunts modernes à la langue dominante ? Par exemple, pris dans des dictionnaires béarnais récents, le « citoyen » sera-t-il
ciutadân ou
citoaién ? et la « baignoire »,
bagnadére ou
begnoère ?
De toute façon, l’enseignement scolaire s’avère impuissant à rétablir un emploi social si la population se désintéresse massivement d’un idiome du passé sans utilité actuelle. Et il n’est pas de pouvoir démocratique qui puisse retourner une telle désaffection. Que peuvent donc faire les élèves de ce qu’ils ont appris, sinon l’oublier dès la sortie de l’école ?
Même si la population se dit favorable à la conservation du patois de jadis, les expériences vécues montrent que bien peu sont disposés à faire l’effort personnel d’apprentissage et d’utilisation de la langue disparue, et celle-ci ne peut plus retrouver sa place dans la société.
Et surtout, même si l’on parvenait, pour des couts énormes, à former assez de maitres compétents pour enseigner à la masse de la population une langue correcte et bien prononcée, on imagine mal le délai — en années, voire en décennies — et le cout de la traduction, a fortiori de la réécriture, de tous les codes, lois et règlements qui encadrent une société moderne ; cela supposerait le maintien, pendant de longues années, de juristes qui possèderaient parfaitement la langue juridique et le patois ressuscité appelé à la remplacer.
Quel peuple est-il capable de supporter et financer de tels processus ?
On citera en vain le cas d’Israël faisant revivre l’hébreu biblique, que les Juifs eux-mêmes avaient abandonné quelque 500 ans avant notre ère, pour l’araméen appris par leurs élites sur les bords de l’Euphrate où elles avaient été déportées. Israël est en effet un cas unique d’une population, venue de nombreux pays et sans langue commune, sur un territoire ancestral que leur redonnait la communauté internationale ; mus par un très fort sentiment nationaliste, ils étaient prêts aux efforts nécessaires pour apprendre une langue qui était restée celle de leurs livres sacrés et que des linguistes particulièrement compétents avaient modernisée. Et, ne l’oublions pas, ils bénéficiaient des financements généreux apportés par la diaspora juive du monde entier…
Les « langues régionales » de France n’en sont pas là !
9-6 – Au delà des patois, l’histoire et la toponymie de nos régions qui en témoignent Mais ces langues des pères ont profondément marqué l’histoire de nos régions et laissé d’innombrables toponymes dont on ne peut gouter la saveur que par leur truchement : l’étude de cette histoire, des noms de lieux et des idiomes qu’ils recèlent, puis la transmission de ces savoirs aux jeunes générations, sont un immense chantier ; sachons qu’il est plein de joies pour ses ouvriers, et gage de la conservation de l’identité des hommes et des femmes qui font la France.
BIBLIOGRAPHIE L’astérisque signale les ouvrages obtenus grâce aux sites mentionnés en
Avant-propos.
Éditions de textes *Joseph Anglade,
Las Leys d’amors, t. I, Toulouse : Privat, 1919.
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Les Chroniques de Sire Jean Froissart, t. II, Paris : Wattelier, 1867.
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Les auteurs latins - Horace - Art poétique, Paris : Hachette, 1873.
*Alexandre Teulet,
Einhardi quæ extant opera, t. I, Paris : Renouard, 1840.
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Thalamus parvus - Le Petit Thalamus de Montpellier publié par la
Société archéologique de Montpellier, Montpellier : Martel, 1840.
Ouvrages et articles *Gabriel Azaïs,
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Les bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de du Verdier, nouvelle édition […] revue, corrigée & augmentée […] t. I
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http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_2001_num_90_1_2703 *Émile Littré,
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La Farce de Maistre Patelin, [éditée] par F. Génin,
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Erreur populaire de la papesse Jane, Lyon : Rigaud, 1595.
*François-Just-Marie Raynouard,
Choix des poésies originales des troubadours, t. I, Paris : Didot, 1816.
*François-Just-Marie Raynouard, «
Les Tournois de Chauvenci, donnés vers la fin du xiiie siècle, décrits par Jacques Bretex,
annotés par feu Philibert Delmotte,
bibliothécaire de la ville de Mons, et publiés par H. Delmotte,
son fils, etc. Imprimerie de A. Prignet, à Valenciennes, 1835 ; un vol. in-8° »
Journal des Savants, Oct. 1835, pp. 622-629.
*Paul Tombeur, «
Maternitas dans la tradition latine »,
Clio n° 21
Maternités, 2005, pp. 139-149.
TABLE DES MATIÈRES
0 – Avant-propos.............................................................................................................. 1
1 – “préhistoire” de patois, « langue du père », et de
langue régionale........................... 2
1-1 – Dès le I
er siècle avant J.-C.................................................................................. 2
1-2 – Du I
er au VI
ème siècle de notre ère...................................................................... 3
1-3 – Les deux chroniqueurs byzantins des VII
ème et IX
ème siècles............................. 3
1-4 – Au terme de cette “préhistoire”, une première conclusion................................. 4
2 – Le mot français
patois apparait à l’écrit .................................................................... 5
2-1 – Une antériorité usurpée : le
Tournoi de Chauvency de Jacques Bretex (après 1300).......................................................................................................... 5
2-2 – L’antériorité réelle : le
Trésor de Brunetto Latini (avant 1300)......................... 5
3 – Le témoignage des manuscrits du
Trésor de Brunetto Latini..................................... 5
3-1 – Coup d’œil d’ensemble sur les manuscrits du
Trésor........................................ 5
3-2 – Le recours aux manuscrits numérisés accessibles.............................................. 6
3-3 – Ce que j’ai pu en tirer......................................................................................... 6
4 –
pat(
r)
ois dans la France du XIII
e siècle, puis dans le
Trésor..................................... 7
4-1 –
pat(
r)
ois, un mot peu répandu à l’époque.......................................................... 7
4-2 –
Quid de la dualité
patois / patrois ?.................................................................... 7
4-3 – L’intervention des copistes................................................................................. 7
4-4 – Probabilité du choix du mot
pat(
r)
ois par Brunetto Latini................................. 8
4-5 – Comment Brunetto Latini a-t-il fait ce choix ?.................................................. 8
5 – La signification de
patois entre 1260 et 1290............................................................. 9
5-1 – Dans le
Tournoi de Chauvency de Jacques Bretex............................................. 9
5-2 – Dans le
Trésor de Brunetto Latini...................................................................... 9
6 – De la signification première de
patois à son étymologie........................................................................................................................ 10
6-1 –
patois, langue du père, puis langue du pays.............................................................................................................................. 10
6-2 – 1694 :
patois viendrait du latin
patriensis, « du père »............................................................................................................................ 10
7 – Le
patois, langue du pays, devient la langue des paysans.............................................................................................................................. 11
7-1 – Le canon 17 du Concile de Tours en 813................................................................................................................................ 11
7-2 – Le « romain rural » à la conquête du pouvoir (XII
e-XIII
e s.).................................................................................................................................. 12
7-3 – Le français du roi se répand dans tout le royaume (XIV
e-XV
e s.).................................................................................................................................. 12
7-4 – Les autres idiomes des pays, les
patois, se conservent dans les campagnes.................................................................................................................... 13
7-5 –
patois prend un sens péjoratif (XVII
e-XVIII
e s.).................................................................................................................................. 14
7-6 – Paradoxalement, le sens péjoratif disparait à la Révolution ...................................................................................................................................... 14
8 – Quand le sens péjoratif
patois fait inventer une nouvelle étymologie .......................................................................................................................................... 15
9 – Synthèse et conclusion......................................................................................................................... 15
9-1 – Aux origines du concept de « langue du père », puis « …du pays »........................................................................................................................... 15
9-2 – En France, le
pat(r)ois prend le relai comme langue du père et du pays.............................................................................................................................. 16
9-3 – Ce qu’était naguère un
patois............................................................................................................................ 16
9-4 – De
patois à langue de pouvoir, et inversement.................................................................................................................. 16
9-5 – L’enseignement peut-il faire revivre un
patois abandonné ? ...................................................................................................................................... 17
9-6 – Au delà des
patois, l’histoire et la toponymie de nos régions qui en témoignent............................................................................................................ 18
Bibliographie.................................................................................................................... 18
[1] Dans sa publication d’Eginhard au tome II des
Grandes chroniques de France, 1837, en note 5, p. 165, Paulin Paris la nomme «
Françoise » et traduit « Patrio sermone » par « langue tudesque que les François [les Francs !] n’avoient point encore oubliée. »
[2] J’ai rédigé la revue des dictionnaires qui va d’ici au § 7 inclus dans l’ignorance du travail très fouillé d’A. Douglas Kibbee de 2001… (voir Bibliographie) ; l’ayant lu, je n’ai rien à changer.